La seconde moitié du XIIe siècle fut marquée à Nivelles par des troubles longs et sérieux et par de terribles catastrophes. Mais les uns et les autres ne nous sont connus que par de sèches mentions dans des chroniques, ou par des actes, dont la plupart manquent de dates. Le lecteur appréciera, par cette dernière circonstance, les difficultés dont notre travail a été entouré, les ténèbres qu'il a fallu dissiper pour jeter quelque jour sur une histoire qui n'avait jamais été étudiée et qui abonde en épisodes intéressants.
Depuis longtemps Nivelles possédait une administration municipale ; son échevinage existait déjà en l'année 1075 ; mais ce tribunal qui n'était, ou que la continuation de l'échevinage d'un ancien comté franc, d'une subdivision du grand comté de Brabant, ou qu'un corps analogue créé par l'abbaye pour rendre la justice dans ses domaines, n'avait pas absolument les mêmes intérêts ni les mêmes tendances que la population qui s'était insensiblement agglomérée autour de l'église de Sainte-Gertrude, et qui, en augmentant en importance et en richesses, réclama des garanties et des libertés, comme les autres bourgeoisies du pays.
Une charte sans date, que les uns placent vers l'année 1166 et les autres entre 1194 et 1201, révèle l'insouciance des abbesses pour la tranquillité de leur principal domaine. D'après ce que porte la charte, elles y laissèrent vaquer l'important emploi de maire : bientôt les crimes s'y multiplièrent dans d'énormes proportions. Des malfaiteurs s'y livrèrent impunément au meurtre, au vol, au pillage; ils osèrent même dévaster la ville et y commettre des rapts. Les échevins et les plus sages habitants, craignant la destruction complète de Nivelles, implorèrent l'appui de l'avoué supérieur du monastère, le duc de Lotharingie ou de Brabant ; riches et pauvres lui exposèrent leurs motifs de plainte et le prièrent d'y remédier. Le duc, de leur avis, institua à Nivelles, pour la seconde fois, une paix (qui, ipsorum consilio , quia quondam ila fecerat, pacern ordinavit in eodem oppido ), d'après laquelle tous sans exception seraient jugés, et qui devait rétablir la splendeur de la ville, tout en maintenant les droits de l'abbesse, du chapitre et de tous les autres seigneurs qui prétendaient y exercer quelque juridiction. Vers le même temps deux incendies terribles dévastèrent Nivelles. En 1166, la collégiale, toutes ses dépendances et une partie de la cité devinrent la proie des flammes, en 1177. La calamité ne fut pas moins affreuse.
L'autorité que le duc Godefroid III exerçait alors à Nivelles sans rencontrer d'opposition, ne tarda pas à être contestée. L'abbesse Berthe, qui appartenait a la famille impériale des Hohenstaufen, puisque Frédéric Barberousse la qualifie de sa cousine (neptis nostra), paraît avoir profité de l'antipathie de ce prince pour le duc, antipathie qui se manifesta ouvertement par les faveurs qu'il accorda au plus ardent ennemi de Godefroid, le comte Baudouin de Hainaut. Berthe comparut à la diète de Mayence, où Frédéric avait réuni les princes et la chevalerie de l'empire, et là elle réclama la possession de Nivelles, en produisant les privilèges accordés jadis à l'abbaye par les souverains de la Germanie, ainsi que les bulles des papes Clément II et Léon IX. Le diplôme qu'elle obtint, le 23 mai 1182, à la suite d'une sentence prononcée par la diète, témoigne de l'exagération des prétentions de l'abbesse.
A sa demande, on ne lui assigne, on ne lui restitue rien moins que la liberté (c'est-à-dire la possession libre) de Nivelles, avec tous ses revenus et toutes ses dépendances : le marché, le tonlieu, la monnaierie, les tables des changeurs, le lieu où on fabriquait la drèche, les brasseries, les moulins, les prés, les terres cultivées et incultes, les pâturages, les bois, les chemins, les eaux, les serfs (familia), les biens héréditaires acquis ou à acquérir par tous ceux qui résidaient à Nivelles, en quelque lieu que ces biens fussent situés. Personne, libre ou serf, bourgeois ou paysan, quelle que fût sa profession ou sa condition, ne pouvait réclamer la propriété, à titre féodal ou héréditaire, de la monnaierie, du tonlieu, du lieu où on fabriquait la drèche et des tables des changeurs.
Malgré l'énorme amende (de cent livres d'or pur) comminée contre ceux qui enfreindraient ces dispositions, le duc Godefroid, qui assista à la promulgation du diplôme impérial, n'en resta pas moins maître delà ville, ainsi que son fils Henri Ier. Dans un acte passé à Nivelles, le 1er mai 1485, figure son serviteur (ducis famvlus) Simon Stajon, et le 1er septembre suivant, deux autres de ses serviteurs, Guillaume de Baisy et Éverard, paraissent à côté des échevins nivellois, dans une charte de l'archidiacre de Cambrai Nicolas. En 1189, des troupes brabançonnes défendirent la ville, que menaçaient les Hennuyers. Pendant l'hiver de 1193-1194, le comte de Looz y commanda au nom d’Henri 1er, fils de Godefroid III, lorsque le comte de Hainaut s'avança jusqu'à Arquennes, où son armée fut prise la nuit d'une terreur subite, que l'on attribua à l'intercession de sainte Gertrude. En 1194, Nivelles est mentionnée parmi les cités du duché qui garantirent le maintien du traité conclu entre le duc et son puissant voisin, le comte Baudouin.
L'union intime de Nivelles au Brabant résulte de tous ces faits ; d'autres détails témoignent que la ville fut alors agitée par de violents débats. Une lettre adressée par le cardinal U., légat du Saint-Siège, au doyen E. (Evrard, sans doute, que l'on cité dans d'autres documents, de l'an 1170, 1175, etc.) et aux autres prêtres de Nivelles, lettre qui ne porte pas de date, mais que nous inclinons à placer en l'année 1184 environ, contient quelques circonstances curieuses. Il y avait alors dans la ville une commune jurée, dont les statuts, suivant le rapport fait au cardinal, étaient, les uns inconciliables, les autres compatibles avec l'équité. Les habitants sévissaient violemment contre les prêtres, leur refusaient les droits que l'on payait d'habitude au clergé des paroisses, et appliquaient aux habitations et aux serviteurs de ce corps des usages contraires au droit canonique, des coutumes abusives L'un de ces prêtres, nommé H. (Henri?), avait vu sa maison détruite et ses serviteurs chassés de Nivelles, contrairement aux prérogatives de son ordre. Le légat chargea le doyen et ses collègues d'ouvrir à ce sujet une enquête et d'excommunier les bourgeois, s'ils ne pouvaient les décider à changer de conduite.
Vers 1194, la persécution dont l'église de Nivelles souffrait depuis sept ans (c'est-à-dire depuis 1184 environ) n'avait pas cessé de sévir. La « noble et honnête congrégation» de cette ville se détermina enfin à exposer ses malheurs et ceux de la cité à l'évêque de Liège A. (Albert de Louvain, élu en 1191, ou Albert de Rethel, élu en 1194?). Le prélat accueillit avec respect les reliques de sainte Gertrude, qui lui furent présentées ; il écouta avec bienveillance la requête qu'on lui soumit, et, pour venir en aide a la pauvreté du chapitre, il adressa à tous les fidèles une invitation de lui accorder des secours pécuniaires.
Nivelles échappait donc de plus en plus à la domination abbatiale, en dépit du diplôme de Frédéric Ier ; en dépit d'une bulle du pape Célestin, datée de Rome, le 11 mai 1191, et confirmant au chapitre tous ses biens, notamment la ville de Nivelles, en dépit d'une charte de l'évêque de Liège, Rodolphe (mort en 1191), charte où on rappelle en général les actes déjà nature des précédents, et où la phrase suivante spécifie les innovations auxquelles Rodolphe, de même que l'empereur et le souverain pontife, voulait s'opposer:
« Nul ne peut usurper ou s'approprier les biens de l'abbaye, leur causer quelque dommage, ou apporter des modifications à leur état ; ni transférer, si ce n'est du consentement de l'abbesse et du chapitre, le marché et la vente des denrées en un endroit différent de celui où ce marché est fixé, où cette vente s'exerce ».
De ce temps date l'établissement de l'office de bailli de Nivelles, ou, comme depuis on l'appela de préférence, du grand bailli du Brabant wallon, qui représentait le prince dans toute la partie du duché où on parlait le wallon ou français, et dans quelques villages flamands au sud et à l'ouest de Hal. Cette nouvelle division du pays, non plus que ses subdivisions ne tinrent aucun compte des fractionnements antérieurs que ce dernier avait subis. Toutes se basèrent principalement sur les rapports féodaux. L'importance que les ducs attachèrent à la possession de Nivelles les détermina à y fixer le siège d'un de leurs principaux officiers, et ils lui subordonnèrent d'autres officiers, des maires, comme on les appelait, qui étaient au nombre de douze : ceux de Nivelles, Genappe, La Hulpe, Mont-Saint-Guibert, Grez, Incourt, Jodoigne, Saint-Jean-Geest, Jandrain, Geest-Gérompont, Orp-le-Grand et Hannut. Nous observerons ici que Jodoigne et ses environs composèrent d'abord un bailliage distinct, qui ne fut, paraît-il, réuni à celui de Nivelles qu'au XIVe siècle, après que le domaine de Jodoigne eut cessé de former le douaire des duchesses. Le Roy et le Guide (idèle mentionnent d'autres mairies, telles que Gembloux, Melin, Dongelberg et Jauche, juridictions qui n'avaient de rapport avec le grand bailli que pour l'exécution des ordres du souverain, et où la justice, la seigneurie, appartenait à des particuliers.
La mairie de Nivelles comprenait un grand nombre de localités, dont voici le tableau, accompagné de l'indication de leurs cotes respectives dans l'aide accordée en 1383 :
Cette liste ne parle pas de la terre franche de Souvret, que les Comptes des baillis de Nivelles ajoutent aux localités comprises dans la mairie.
Les guerres civiles dont l'empire fut le théâtre après la mort de Henri VI, fils et successeur de Frédéric Barberousse, accrurent démesurément la puissance du duc Henri Ier, qui sut, avec plus d'habileté que de loyauté, servir tour à tour les deux prétendants au trône : Philippe de Souabe, frère de Henri VI, et Othon de Saxe ou Othon IV. Ce dernier, dont Henri Ier soutint d'abord la cause, lui donna l'abbaye de Nivelles avec tous les droits qu'y possédaient les empereurs et les rois des Romains. Lorsque Henri se rallia à la cause triomphante de Philippe, ce prince renouvela cette cession, le 12 novembre 1204, à la seule condition de tenir en fief de l'empire Nivelles et les autres domaines impériaux qu'on lui abandonnait.
Philippe ayant péri assassiné, Othon, voulant sans doute se venger de la défection du duc de Brabant, annula le don qu'il lui avait fait et, sur les plaintes de l’abbesse Berthe, confirma en tous points la charte impériale de l'an 1182 (17 mai 1209). Ses ordres ne furent pas exécutés, car, en cette même année 1209, nous voyons le duc Henri enrichir de ses libéralités les Templiers de Valiompont, en présence des échevins de Nivelles. D'ailleurs Othon ne tarda pas à se rapprocher de Henri, dont il épousa la fille Marie ; puis, la donation du roi Philippe fut ratifiée par son neveu Frédéric II, le vainqueur d'Othon IV: une première fois, en 1214, une seconde fois, le 29 avril 1219.
Les abbesses et le chapitre entrèrent à cette époque en contestation, à propos des biens de la communauté qui avaient été aliénés. Celle-ci prétendait que l'abbesse Ode devait les récupérer à ses frais, ce que Ode niait. Enfin, après une enquête minutieuse, l'abbesse reconnut qu'elle était soumise à cette obligation, mais comme elle s'attirait par là des injures et des inimitiés, le chapitre consentit à intervenir pour une moitié, pendant dix ans, dans les frais que des démarches de cette nature lui occasionneraient (jugement arbitral, en date de la nuit de la Purification, 2 février 1218).
A la suite de cet accord intervint un acte qui témoigne de la rigueur avec laquelle le chapitre entendait percevoir ses revenus. D'après un statut qui fut adopté en assemblée générale, au mois de juillet 1218, l'abbesse faisait tous les ans sommer les tenanciers de Lennick et des autres domaines de la communauté, de payer leur cens au jour fixé, sinon elle partait pour les y contraindre, ou elle envoyait, en sa place, une chanoinesse et deux chanoines ; à moins d'empêchement légitime, ni elle ni ceux-ci ne pouvaient s'exempter de cette désagréable corvée, ni revenir sans avoir prélevé le cens, sous peine d'une amende de 6 sous blancs pour chaque jour de retard; la même peine était prononcée contre toute personne qui devait recueillir pour le chapitre de l'argent, du pain ou de l'avoine, et qui ne remettait pas : le pain au jour fixé, l'argent pendant le mois de l'échéance, et l'avoine à la fête de saint Jean ou pendant le mois de juillet. Le retardataire devait en outre implorer son pardon, et en aucun cas il n'obtenait un délai: le demander et l'accorder constituaient également une offense.
Les chanoinesses apportaient la même sévérité à maintenir intactes leurs moindres prérogatives. L'abbesse ne leur fournissant plus des tartes et des gâteaux semblables à ceux qu'on leur distribuait auparavant en son nom, elles en firent régler la forme, la dimension, la composition: les placentœ devaient être faits de bon fromage et d'un cramique (crimmicha) d'un pied et demi de large et de trois doigts d'épaisseur. Les canistelli ou canestiaux n'offraient qu'une farine aux œufs choisis, et consistaient en trois cercles superposés. Ces derniers ne pouvaient être confectionnés que par des hommes d'une honnêteté et d'une capacité éprouvées (juillet 1248).
La transformation presque générale que subissait alors la société amenait à chaque instant des conflits nouveaux. Chacun voulait améliorer sa position ; chaque officier, chaque fonctionnaire aspirait à rendre héréditaire et féodal l'emploi qu'il occupait. A Nivelles même les d'Arquennes élevèrent cette prétention pour la mairie de cette ville, mais ils y renoncèrent en 1225. A Meerbeek près de Ninove, un nommé Brantin essaya sans succès une usurpation analogue, comme en fait foi un acte de l'an 1229.
Pendant ces querelles stériles, le duc Henri marchait d'usurpation en usurpation, affermissant de plus en plus son autorité. L'un de ses vassaux, Walter de Rêves, ayant donné à l'hospice du Saint-Sépulcre le moulin du Charnier, le duc, en l'an 1223, permit à cet hôpital de reconnaître la juridiction des échevins de Nivelles, mais à la condition que les amendes qui écheraient dans ses biens appartiendraient à lui et non au chapitre ou à d'autres. De son côté, il s'engagea à faire rendre justice à l'hôpital, à le protéger contre tous, soit en personne, soit par son bailli de Nivelles Ici apparaît pour la première fois cet officier du prince, qui étendit ensuite son autorité sur toute la partie méridionale du Brabant, le Brabant wallon, et dont l'influence annihila complètement celle du maire de l'abbaye.
Le chapitre possédait aux environs de Nivelles plusieurs bois magnifiques, notamment ceux de Bossut et de Heis ou Hez (sur Baisy), de Genappe et de Forest (sur Vieux-Genappe). Le duc parvint à s'en faire céder la moitié, du moins quant au revenu et à la juridiction; les deux parties, de concert, devaient y établir un maire, des échevins et des forestiers, et chacune d'elles était libre d'y faire opérer des défrichements, à ses propres frais et à son bénéfice exclusif, si l'autre partie refusait d'intervenir dans les dépenses occasionnées par ce travail. Cet accord, qui se conclut au mois d'octobre 1223, fut approuvé par Henri, le fils aîné du duc : une première fois, à la même époque; une seconde fois, en 1244. Il fut suivi de la mise en culture des bois de Genappe et de Forest, qu’Henri II et le chapitre cédèrent, en 1243, à l'abbaye d'Afflighem, qui y établit plusieurs grandes fermes ; ceux de Bossut et de Hez, dont une partie avait été abandonnée aux religieux de Villers, continuèrent à subsister.
Lorsque Frédéric II partit pour l'Italie, où il fut presque constamment retenu par ses démêlés avec les papes et les villes guelfes, il laissa le pouvoir entre les mains de son fils Henri, quelquefois appelé Henri VII. Ce jeune prince ratifia d'abord les concessions de son père en faveur du duc (mai 1222), mais se montra ensuite moins favorable à lui qu'aux abbesses et au chapitre de Nivelles.
L'abbesse Haburgis étant venue le trouver à Aix-la-Chapelle, obtint de lui une confirmation des privilèges de l'abbaye et en particulier du diplôme de Frédéric Ier (30 mars 1227). Elle ne tarda pas à mourir, car deux mois après, le roi approuva l'élection de l'abbesse Ode, l'investit des fiefs et des régales faisant partie de la dotation du chapitre, et la prit sous sa protection (9 juin). Le lendemain, deux chartes royales furent encore scellées: l'une plaça sous cette même protection le chapitre, en révoquant toutes les aliénations de ses biens qui auraient été opérées antérieurement ; l'autre défendit, sous les peines les plus sévères, d'empiéter sur ces biens. Une diète réunie au palais de Nuremberg déclara que tout bien aliéné par les abbesses qui avaient précédé Ode devait être réintégré dans le domaine commun, et que tout acte contraire aux privilèges accordés par ses prédécesseurs à l'abbaye, était annulé de plein droit. Ainsi l'attesta, plus tard, en juin 1230, l'évêque de Bamberg Conrad. Tous ces actes étaient évidemment dirigés contre le duc. Le 11 juin 1227, on voulut essayer de l'isoler de la bourgeoisie de Nivelles : il fut défendu de causer du tort, soit à l'abbesse, soit aux bourgeois, à l'occasion de la guerre qui venait d'éclater entre le duc de Brabant, le comte de Flandre et d'autres princes. A la même époque, les domaines du duc ayant été mis en interdit à cause de l'injure causée par Henri 1er à Barthélémy, chanoine de l'église Saint-Barthélemy de Liège, l'archevêque de Cologne déclara que cet interdit ne s'étendait pas sur la ville de Nivelles (mardi après la fête de Saint-Pierre ès liens, en 1227).
Les bourgeois avaient, peu de temps auparavant, prouvé une fois de plus leur adhésion à la politique des ducs. Un ménestrel vagabond s'étant présenté comme étant le comte de Flandre et de Hainaut, Baudouin IX, empereur de Constantinople, le duc s'empressa de le reconnaître en cette qualité. Nivelles montra également une vive sympathie pour l'aventurier. Lorsque l'imposture de celui-ci eut été dévoilée, et qu'il fut forcé de quitter le Hainaut, la comtesse Marguerite de Constantinople le fit poursuivre, et parvint à le faire arrêter à Nivelles ; mais les bourgeois le délivrèrent et lui donnèrent un sauf-conduit pour continuer librement son voyage.
Le roi Henri VII, dont l'autorité n'était que nominale, car il n'avait à cette époque que seize ans environ, le mariage de son père n'ayant eu lieu qu'en 1210, il se montra toujours favorable au clergé, tandis qu'il poursuivait de ses rigueurs les communes. Mais il ne put longtemps continuer son œuvre. S'étant révolté contre son père, il fut emprisonné par ordre de celui-ci, et envoyé en Italie, où il mourut. Le duc Henri Ier qui, dans ses dernières années, avait comblé de privilèges les bourgeoisies de ses Etats, sans doute afin de mieux s'assurer leur appui, jouissait d'une grande influence à la cour de l'empereur Frédéric II, mais il atteignait alors une extrême vieillesse et, après avoir amené à Frédéric II sa nouvelle épouse, il mourut à Cologne en 1235. Il avait gouverné le Brabant pendant plus de soixante ans, d'abord de concert avec son père Godefroid III, puis seul.
Ce fut de son temps que Nivelles parvint à son plus haut degré de prospérité. Dans la vaste enceinte de murailles qui l'entourait, on voyait s'élever de nombreux édifices civils et religieux. On n'y comptait pas moins de treize églises (y compris trois qui se trouvaient dans la banlieue: Notre-Dame de Gouthal, le Saint-Sépulcre, Thines), tandis qu'il n'y en avait que six ou sept au plus à Bruxelles, la résidence favorite des ducs. En remplacement de l'antique hôpital du monastère, plusieurs maisons charitables s'ouvraient aux malades, aux pèlerins, aux infirmes: Saint-Nicolas, le Saint-Sépulcre, les Douze-Apôtres (qui existait déjà en l'an 1225), et plusieurs léproseries, dont l'une, celle dite de Willambroux, était devenue célèbre par la piété et la charité d'une bourgeoise de Nivelles, nommée Marie, qui alla ensuite mourir au couvent d'Oignies. L'institut des béguines, institution mixte, qui tenait à la fois de la vie laïcale et de la vie ascétique, prit à Nivelles un développement extraordinaire et, si l'on en croit Thomas de Cantimpré, ne compta pas moins de 2,000 adhérentes, chiffre évidemment exagéré, comme tout ce que nous raconte ce crédule écrivain, et dans lequel on englobait sans doute non seulement les béguines proprement dites, mais les béghins ou bogards, les récluses, les sœurs desservant les léproseries etc.
Jadis l'accumulation d'un grand nombre d'habitations dans un espace très resserré et l'absence de toute prescription hygiénique provoquaient fréquemment des épidémies. En 1226 il en naquit une d'une gravité extrême parmi les béguines de Nivelles. Un feu ardent les dévorait, attaquant chacune d'elles, ajoute le pieux légendaire que nous venons de citer, dans le membre par lequel elle avait péché. On les porta dans l'église Sainte-Gertrude, où elles recouvrèrent la santé. Ce fléau paraît avoir fait suspecter leur vertu, car on ne s'expliquerait pas autrement cette parole échappée à une jeune fille, qui se trouva également infectée: « O sainte Gertrude, je ne suis pas béguine, et cependant je brûle aussi », paroles coupables, selon Cantimpré, qui furent instantanément punies par la chute d'un des bras de la malade.
Malgré la peste, malgré les guerres, la population de Nivelles se développa dans de si fortes proportions, qu'il fallut, au mois de juillet 1231, augmenter le nombre des paroisses: l'église-mère de Sainte-Marie ou de Notre-Dame, qui se trouvait entre l'église des chanoinesses ou de Sainte-Gertrude et celle des chanoines ou de Saint-Paul, ne garda qu'une minime partie de son ressort, dont le reste fut partagé entre dix autres églises: Saint-Jacques, Saint-André, Saint-Jean-Baptiste, Saint-Georges, Saint-Maurice, Saint-Jean-l'Evangéliste, Saint-Cyr, le Saint-Sépulcre, Notre-Dame de Gouthal et Thines.
Le duc Henri II continua la politique de ses ancêtres. D'une part, il joignit à son domaine de Nivelles les revenus, les habitations, cens etc., qui appartenaient à la demoiselle de Rêves, fille de Walter dont nous avons parlé (diplôme de cette dame, en date du soir de la Division des apôtres, en 1237) ; d'autre part, il accorda son appui aux bourgeois, dont les querelles contre l'abbesse avaient recommencé. Cette fois, on se disputait le droit de percevoir les tonlieux ou impôts sur les marchandises ou denrées de toute espèce. Guy, évêque de Cambrai, l'abbé de Jette, remplaçant l'abbé de Villers, qui s'était excusé, et Boniface, ancien évêque de Lausanne, prononcèrent à ce sujet une sentence arbitrale, à Saint-Feuillen du Rœulx, le mardi après les Rameaux, en avril 1239-1240. Outre que les bourgeois furent condamnés à donner satisfaction à l'abbesse, celle-ci fut reconnue en droit de percevoir les tonlieux sur le vin vendu en détail (ad brokam), le pain, les toiles, les filets de lin et de laine, les peaux et cuirs, la friperie, la drèche. Ces tonlieux furent fixés comme suit:
Les taverniers en vin (vinarii) payaient par tonneau: un neuvième de setier, pour le vin d'Avalterre ou du Rhin; un demi setier, pour le vin de France ;
Les boulangers, une demi-obole par fournée de pain ; les marchands de toiles, 2 deniers pour chaque centaine d'aunes de toiles ;
Les marchands de filets (fileti, ce qu'on appela depuis de la batiste), 1 denier par filet du prix de 5 sous, 1 obole par filet valant 12 deniers ;
Les marchands de peaux et cuirs, 2 deniers par douzaine de peaux, 1 obole par cuir ;
Chaque personne qui débitait des friperies au marché payait dans la même proportion que les marchands de filets ;
Les bouchers donnaient des fragments de chairs ou une bouteille (cupa) de vin.
Quoique le duc de Brabant soit, à cette époque, intervenu en faveur de l'abbesse, les bourgeois ne se soumirent pas aisément. En mai 1244 ils étaient de nouveau en querelle avec le chapitre ; à cette époque, l'évêque de Liège, Robert, enjoignit au gardien et aux frères mineurs de Nivelles de regarder comme excommuniés et interdits ceux qui étaient excommuniés par le chapitre et le peuple de cette ville (et plebam istius oppidi ; Diplôme daté du lundi avant la Pentecôte). Henri II sut habilement profiter de l'occasion. Les chroniques de Nivelles disent qu'il reçut le serment des magistrats communaux, les jurés qui commencèrent à cette époque à siéger avec les échevins, qu'ils devaient ensuite éclipser, et il leur confia, ajoute-t-on, les clés des portes de la ville. Ce qui contribua particulièrement à assurer la victoire de l'élément populaire, ce fut la série interminable de querelles qui s'élevèrent entre le chapitre et l'abbesse. Ces contestations ne s'assoupissaient que pour renaître avec plus de violence.
Chaque réélection d'abbesse amenait des interprétations nouvelles et de nouvelles luttes, bientôt suivies d'autres transactions. Le chapitre voulut de nouveau obliger l'abbesse à reprendre, à ses frais, les alleux de la communauté qui avaient été aliénés, et notamment la mairie du village de Goyck et les biens de Berg-op-Zoom. Sur son refus, il cesse le service divin pendant plus de quatre ans. L'abbesse réclame auprès des autorités ecclésiastiques et prétend avoir supporté une perte d'au moins 1,000 livres de Louvain, et une dépense de 100 marcs sterlings ; privée de ses revenus particuliers, elle perd plus de 500 livres; dépouillée à Nivelles de son tonlieu, elle en perd encore 1,500. De son côté, le chapitre élève des prétentions analogues. Ses membres vont jusqu'à se plaindre de ce que, sans sa participation, l'abbesse a invité le duc à punir les excès de quelques bourgeois de la ville. Pour cette cause le doyen de Liège la condamne, mais en vain, à une amende de 400 marcs. Un accord daté du mardi après la Saint-Clément, en novembre 1241, en repoussant presque toutes les prétentions des deux parties, mit momentanément fin à leurs débats.
En dehors de la ville, les biens de la communauté étaient partout mis au pillage et ses prérogatives amoindries. Henri II, à son avènement au duché, trouva l'interdit jeté sur le Brabant à cause de quelques usurpations de ce genre ; il en obtint la levée en entrant en négociations avec le chapitre et en s'engageant à lui faire restituer la mairie de Goyck, dont Arnoul de Wesemael avait pris possession, et les biens de Berg-op-Zoom, alors occupés par l'avoué de Béthune au nom du jeune sire de Bréda. Mais le duc ne remplit pas ses engagements, ou son successeur, Henri III, les viola, car la situation redevint ce qu'elle était auparavant, encore plus intolérable peut-être. Les sires d'Enghien, à Tubise, Hennuyères, Leerbeek ; le sire de Rêves, à Buzet ; le sire de Meerbeek, dans le village de ce nom, près de Ninove ; les chevaliers d'Aerschot, à Vorst en Campine ; le sire de Wesemael, à Duffel, empiétèrent sur les droits du chapitre. Le duc de Brabant, leur suzerain commun, s'engagea, le jour de Saint-Fabien et de Saint-Sébastien, 20 janvier 1253-1254, à réprimer leurs usurpations avant la Saint-Rémi suivante. Et comme ses propres officiers étaient les premiers à donner l'exemple, il promit de rétablir la communauté dans ses droits et de l'indemniser de ses pertes, avant la fête de Pâques de la même année, conformément à la sentence de quatre arbitres, dont deux, sire Conson et sire Henri de Sterrebeek, avaient été choisis par lui, et deux par la partie adverse: le doyen de Nivelles et le chanoine Gérard de Hodeberge ou Huldenberg. Il promit notamment de restituer au chapitre le larron et le meurtrier, c'est-à-dire la juridiction sur les coupables de vol et de meurtre ; de ne plus s'ingérer, à Nivelles, dans les questions de dettes ou d'héritage (c'est-à-dire dans les causes réelles), et de ne plus y publier des bans (ou ordonnances de police). Ses baillis avaient, en son nom, abattu des maisons, séquestré des meubles, dans les possessions du chapitre; ces officiers, comme il le déclara, durent, non seulement s'abstenir d'actes pareils, mais encore faire satisfaction au chapitre assemblé (accord en date du samedi après l'Epiphanie, en 1253-1254).
Si l'influence ducale fléchit de la sorte devant la volonté de l'abbesse et du chapitre, ce ne fut pas du gré de la bourgeoisie, qui profita de la première occasion pour s'insurger. Lorsque, après la mort du duc Henri III, les villes brabançonnes conclurent entre elles une étroite alliance, Nivelles, qui se considérait comme l'une d'elles, entra dans cette ligue, et se confédéra notamment avec Bruxelles, le 24 juillet 1261, et le jour de la Trinité, en 1262. Dans la suite, Nivelles ayant perdu ses chartes, les magistrats de la résidence favorite de nos princes donnèrent un vidimus, c'est-à-dire une copie authentiquée de leur union avec Nivelles, de l'an 1262, le lundi après le dimanche où l'on chante Jubilate, en 1304-1305.
Les bourgeois, par la même occasion, organisèrent leur commune sur de nouvelles bases ; ils s'imposèrent, sous peine d'amendes, l'obligation d'y adhérer, la dotèrent d'une administration particulière de la justice, de justiciers (ou jurés?), d'un forestier, d'un nouveau sceau, d'une prison et de nouveaux statuts, ces derniers comminant contre les contrevenants, dans certains cas, la peine de mort et de la confiscation.
L'abbesse et le chapitre se montrèrent très mécontents de ces innovations. Aussi le peuple se porta-t-il bientôt à des actes de violence, mécontents de ces innovations. Aussi le peuple se porta-t-il bientôt à des actes de violence. Il força l'entrée de la maison abbatiale et en détruisit les portes, puis, après avoir chassé les gardiens établis par le maire et les échevins, il les remplaça par d'autres, à qui les clés des portes de la ville furent confiées. Craignant sans doute qu'on ne transformât l'église de Sainte-Gertrude en forteresse, les bourgeois s'y introduisirent à main armée et brisèrent les serrures des tours, qu'ils firent modifier.
L'abbesse implora l'appui du roi des Romains Richard de Cornouailles, qui se trouvait en ce moment en Brabant. Un diplôme de ce prince, daté de Louvain, le 5 juillet 1262, confia la décision de la querelle à l'évêque de Liège Henri de Gueldre, qui exerçait alors en Brabant les fonctions de régent, au nom des fils mineurs d’Henri III. Malgré la haute position qu'il occupait en Belgique, le fougueux prélat ne triompha que difficilement de la résistance des Nivellois.
Il invita d'abord tous les prêtres et chapelains du doyenné de Fleurus à se réunir en ce dernier endroit et à menacer d'interdit les membres de la commune, leur maire et leurs jurés, s'ils ne consentaient à se soumettre aux ordres du chapitre, à annuler leur confédération et à indemniser ceux qu'ils auraient lésés. Si les bourgeois persistaient huit jours de plus dans leur rébellion, la sentence d'excommunication serait étendue à leurs femmes et à leurs enfants; on allumerait des cierges dans l'église, on sonnerait les cloches tous les dimanches et fêtes, selon les rites adoptés pour les circonstances de ce genre. Dans le cas où la soumission des habitants se ferait encore attendre huit jours, l'administration des sacrements cesserait tout à fait, sauf qu'on donnerait le baptême aux nouveau-nés et la sépulture aux morts (charte datée du jeudi avant la Nativité de la Vierge, en 1263).
Nivelles persista cependant, pendant plus de deux ans, à repousser tout accommodement. Enfin, de guerre lasse, l'évêque de Liège conclut un accord sur les bases suivantes : La commune renonça à ses chartes et à son sceau, qui devaient être remis à l'abbé de Sainte-Gertrude de Louvain, pour être détruits à jamais, et elle s'engagea à réédifier la maison abbatiale (jour de la Division des apôtres, en 1265). Le dimanche suivant, dans une assemblée qui se tint à Nivelles, en présence d'un grand nombre de prêtres, de chevaliers et d'autres personnes, quatre bourgeois délégués à cet effet par les maire, échevins et commune: Hugues de Rougnon, Rodolphe de la « Porte brûlée » (de Combustâ porta), Simon du Wichet (de Postito) et Emorandus, remirent les chartes et le sceau proscrits à l'abbé de Sainte-Gertrude de Louvain et à B. (Baudouin?) de Bossut, chanoine et official de Liège, qui les firent immédiatement détruire.
L'évêque était présent, car le même jour il approuva tout ce qui s'était fait en son nom. Son intervention en faveur du chapitre fut encouragée par le pape Clément IV, dont on connaît deux bulles en faveur du chapitre: l'une, scellée le 1er juillet 1265, confirme en général les possessions de ce corps ; l'autre, en date du 17 septembre 1265, ordonne à Henri de Gueldre de protéger le chapitre, «qui avait reçu de graves atteintes dans ses biens». Entre autres pénalités pécuniaires qui furent alors infligées à la ville, « quand on fit paix de débat entre madame Odain, abbesse de Nivelles, et les bourgeois de la commune», on doit citer le payement d'une somme de 100 livres pour fonder une chapellenie, somme dont les trois cinquièmes furent payés en 1273, comme l'atteste une quittance donnée par l'abbesse Elisabeth, au mois de septembre de cette année.
Il semble que Nivelles garda néanmoins son sceau ou en fit graver un nouveau, puisqu'elle scella: le 11 mai 1267, la réconciliation du duc Jean Ier et de la ville de Louvain ; le 31 décembre 1304, le grand privilège accordé par Jean de Malines ; le 27 septembre 1342, la célèbre charte dite de Cortenberg ; le 30 août 1334, le contrat de mariage de Jean, fils du duc Jean III et d'Isabelle de Hainaut, etc.
L'abbesse Ode étant morte, Elisabeth de Bierbais lui succéda. Cette abbesse accepta le rôle d'une vassale du duché, car, en cette qualité, elle figura parmi les nobles du Brabant, qui, en 1267, attestèrent solennellement à Cambrai que le fils aîné d’Henri III, Henri, dont les facultés intellectuelles laissaient beaucoup à désirer, avait renoncé au patrimoine paternel en faveur de Jean, son frère.
Jean Ier s'étant trouvé en besoin d'argent, les habitants consentirent, à deux reprises, à lui payer une taxe, à la condition qu'il leur serait permis de lever des assises ou maltôtes, c'est-à-dire des impôts sur les denrées et autres objets mis en vente. L'abbesse et le chapitre sanctionnèrent ces arrangements et reçurent du duc, à cette occasion, des lettres de non-préjudice où il s'est stipulé que leur approbation était indispensable dans un cas semblable, et que le produit et l'emploi des assises seraient constatés par-devant ceux qui en opéreraient la perception et par-devant l'abbesse (charte du duc, en date du lundi après les octaves de l'Epiphanie, en 1272-1273). Depuis lors, la perception des assises, de ce qui a subsisté jusqu'à l’année dernière sous le nom d'octroi, se fit à Nivelles en vertu d'autorisations accordées par nos souverains, pour un terme plus ou moins long, et à charge d'une rente annuelle en faveur du domaine.
L'abbesse Elisabeth vécut en bonne harmonie avec le duc, mais non avec son chapitre, qui ne tarda pas à élever contre elle des griefs formidables :
- Un poids, c'est-à-dire un local pour peser les marchandises, avait été établi ; on y percevait un droit s'élevant à 1 obole pour 6 livres, et dont la ville recevait une moitié et les peseurs un tiers ; les contrevenants au règlement de ce poids payaient une amende de 60 sous, au profit de l'abbesse et de la ville, par moitié ;
- La vente des draps et des toiles avait été assujettie à un contrôle qui était exercé par des mesureurs institués par l'abbesse et les échevins ;
- Un statut émané des mêmes autorités défendait d'intenter un procès pour cause grave, si on ne déposait au préalable une somme de 100 sous de Louvain, qui était confisquée lorsque l'accusation n'était pas prouvée.
Ces innovations utiles, mais qui avaient le tort grave d'admettre la commune à participer au pouvoir abbatial, soulevaient la bile de la noble corporation. A ses yeux, c’était là une dilapidation scandaleuse de ses biens. A plusieurs reprises, elle se plaignit, et, n'étant pas écoutée, elle ordonna, en 1278, de cesser le service divin.
La querelle, cette fois, dura longtemps. On demandait à l'abbesse de veiller à l'entretien des bâtiments conventuels, et elle ne s'y refusait pas, mais à la condition que si une reconstruction était nécessaire, ce travail devait s'exécuter aux frais du chapitre. On réclamait toujours la possession des alleux jadis aliénés et de la juridiction dans Nivelles. Tenter cette entreprise, c'était entrer dans une voie pleine de difficultés, soulever la colère de barons puissants ; il valait mieux, et on le reconnut, ajourner cette question. A ces conditions un accord fut conclu par les six arbitres acceptés par les parties : Erlebald, Gérard de Hodeberge, Jacques de Montana Vico, la prévôté Jeanne, la doyenne Yolende et la chanoinesse Emma de Turre, tous membres du chapitre. Toutefois, ils condamnèrent Elisabeth de Bierbais à payer 30 livres de Louvain comme arrérages des revenus de la prébende dite de Brabant, revenus qu'elle était obligée à faire rentrer (accord daté de la veille de l'octave de Saint-Martin d'hiver, en 1282).
L'évêque et le chapitre de Liège approuvèrent cette convention ; mais la discorde ranima bientôt ses feux. L'abbesse reçoit une plainte dressée par-devant notaire. C'est un nouvel acte d'accusation, non moins curieux que le premier: elle garde mal l'église, qui est ouverte aux animaux, accessible aux porcs, à tous les jongleurs et autres immondices, entourée de lupanars et de tavernes, qu'on laisse subsister malgré toutes les observations. Les grandes cloches sont cassées ; on ne les répare pas et la collégiale reste muette. Le duc de Brabant et ses officiers usurpent la juridiction du chapitre, les bourgeois lèvent des assises etc. etc. Conclusion, l'office divin doit cesser (19 avril 1286).
La paix se rétablit l’année suivante et les parties renoncèrent à toutes procédures et appels, mais en déclarant ne pas abdiquer leurs droits respectifs, clause qui dut fort réjouir leurs hommes d'affaires (dimanche après la Saint-Rémi, en 1287).
Les béguines étaient, à cette époque, en très grand nombre à Nivelles. Parmi elles, il y en avait une qui était, disait-on, douée d'un esprit prophétique. Lorsque Marie de Brabant, sœur de Jean Ier et femme de Philippe le Hardi, roi de France, fut accusée d'avoir empoisonné un enfant que son époux avait eu d'un premier mariage, et conspiré avec les ennemis de l'Etat, Philippe III, qui hésitait à croire à sa culpabilité, envoya à Nivelles Matthieu, abbé de Saint-Denis, et Pierre, évêque de Bayeux. Ce dernier, ayant devancé son collègue auprès de la béguine, en obtint une réponse, mais il se refusa à la faire connaître au roi, en prétextant que c'était un secret de confession. Le monarque, très mécontent d'aboutir à un pareil résultat, chargea l'évêque de Dôle et Arnoul de Wesemael, qui était alors chevalier du Temple, du soin d'interroger la béguine.
Cette fois, on lui rapporta des paroles qui témoignaient de l'innocence de Marie, en rejetant l'empoisonnement du fils du roi sur un des courtisans du souverain français. On sait comment le chambellan de Philippe, Pierre de la Brosse, l'accusateur de la reine, se vit à son tour accusé, et périt enfin sur l'échafaud. Le duc de Brabant, sa sœur et tous leurs parents, qui étaient nombreux et puissants à Paris, essayèrent, mais en vain, d'envelopper dans la ruine de La Brosse l'évêque de Bayeux, qui était son ami et parent de sa femme. D'autre part, Marie n'oublia pas celle qui avait confondu ses ennemis, et ce fut évidemment pour perpétuer le souvenir de sa reconnaissance qu'elle fonda, à Saint-Cyr, vers l'an 1280, un hôpital pour les béguines pauvres, le Béguinage de la Royauté, qui n'eut, il est vrai, qu'une existence assez obscure et éphémère.
L'opinion générale voyait alors, avec peu de faveur, les usuriers ou prêteurs sur gages, les lombards, les cahorsins, qui s'introduisaient de plus en plus dans nos villes et qui faisaient de brillantes affaires, grâce à leur habileté et à l'utilité que présentaient leurs capitaux à des princes toujours endettés et à des industriels actifs. Le duc Henri III, par zèle religieux, avait résolu à son lit de mort de les chasser du pays, mais son successeur n'exécuta, en aucune façon, cette partie du testament paternel. Les cahorsins continuèrent à subsister à Nivelles. L'évêque de Liège, s'en étant assuré en passant par cette ville, en exprima son mécontentement et ordonna de cesser le service divin. Les usuriers abandonnèrent leur trafic, et le recommencèrent bientôt. L'abbesse. D’après le conseil que les nobles et les jurés lui donnèrent, se rendit en personne devant la maison d'un de ces « marchands d'or » ; elle la trouva fermée, mais néanmoins elle fit parvenir à celui qui l'occupait une défense de trafiquer.
Les cahorsins s'adressèrent aux deux serviteurs du bailli ducal, qui les engagèrent à continuer, et l'abbesse ayant réclamé auprès du duc lui-même, celui-ci n'hésita pas à répondre que cela le concernait seul: que s'il y avait péril pour son âme, il en acceptait la charge ; qu'au surplus il négocierait à ce sujet avec le pape et l'évêque de Liège. Ce dernier fut alors supplié d'intervenir (jeudi avant la Nativité de la Vierge, en 1280). Ses deux mandataires, maître Nicolas de Querceto, chanoine de Liège, et Jacques Castanea, chanoine de Nivelles, exprimèrent l'opinion que les usuriers nivellois étaient publiquement reconnus pour tels, et que le duc de Brabant avait des supérieurs qui étaient en droit de l'obliger à céder ; pour le cas où il persévérerait, ordre fut donné au doyen du chapitre de faire cesser le service divin (21 septembre 1280). L'affaire n'eut pas d'autre résultat, Jean Ier n'étant pas homme à céder facilement. Dans la suite, le chapitre manifesta encore des opinions très hostiles aux lombards: de concert avec l'abbesse Yolende de Steyne, il voulut exécuter le statut du concile de Lyon contre les usuriers, mais l'abbesse fit remarquer que son bon vouloir était neutralisé par les seigneurs séculiers, dont les ordres étaient suivis plutôt que les siens, comme l'évêque Adolphe de la Marck le reconnut (diplôme d'Adolphe, du 1er avril 1315).
Les vassaux de l'abbaye de Nivelles combattirent à Woeringen pour la défense des droits de Jean Ier sur le Limbourg. Dans cette célèbre journée, la bannière de Nivelles était portée par Gérard de Louvain, prévôt du chapitre et, en cette qualité, premier homme de fief de l'abbesse.
Lorsqu'il fut question de conclure un arrangement entre Jean Ier et son ennemi, vaincu et prisonnier, le comte Renaud de Gueldre, on conduisit ce prince à Nivelles. L'un des arbitres choisis, Guillaume, évêque de Cambrai, ordonna qu'il serait livré entre ses mains en échange des châteaux de Limbourg, de Rolduc, etc., dont le duc serait remis en possession, mais, après avoir approuvé ces accords, Jean Ier se refusa à délivrer son captif, et ce fut sans succès que ce dernier, en présence de l'évêque de Liège et d'autres personnes, délivra à Guillaume une ratification de ce qu'il avait négocié (décembre 1288). Renaud ne fut mis en liberté que deux ans plus tard.
Peu de temps après, et sans doute en remercîment de l'aide qui lui avait été donnée, le souverain du Brabant fit quelques concessions à l'abbesse Elisabeth, mais, ce qui peint bien l'ascendant croissant de la bourgeoisie, c'est en faveur de cette dernière que les deux partis stipulent:
— Quand les échevins ont fixé le taux d'une amende, le bailli du duc ne peut la majorer.
— Quand un bourgeois a méfait, s'il se présente devant la loi (ou la justice), on ne peut le punir que conformément aux statuts.
— On n'ordonnera plus aux bourgeois d'aller à Genappe ou ailleurs (c'est-à-dire de comparaître devant des juridictions étrangères et notamment devant la Cour de Lothier, à Genappe).
— On reconnaît à l'abbesse le droit de cerkemener (c'est-à-dire d'ouvrir des enquêtes solennelles), tandis que le duc s'engage, à « faire ôter, comme illégalement établis, la prison et les fers à la Capelle à Nivelle et autre part en la justice de l'abbesse», ce qui nous apprend qu'alors déjà le duc avait une juridiction et une prison au Franc-Étau.
— Il est interdit au bailli ducal de s'ingérer dans le recouvrement des dettes, et, d'autre part, le bailli, le maire, le forestier du prince sont déclarés non-justiciables de la magistrature municipale, sauf pour leurs dettes (dimanche après les octaves de l'Epiphanie, en janvier 1280-1290).
Parmi les griefs que les membres du chapitre articulèrent contre l'abbesse en 1286, se trouve l'accusation de tolérer l'aliénation et le défrichement de leurs bois et spécialement du bois de Nivelles. Le duc Jean était sans doute compris dans ce reproche, lui qui avait toujours besoin d'argent et qui accablait ses sujets d'impôts. Au mois de mai 1290, il conclut un accord analogue à celui que son bisaïeul, Henri Ier avait négocié à propos d'autres bois. La propriété du bois « con dist de Nivelles » fut maintenue au chapitre ; le duc et les siens ne pouvaient en céder la moindre fraction ; si on le mettait en culture ou si on y bâtissait des villages, les produits devaient être partagés, par moitié, entre les deux parties contractantes. Ainsi que dans les bois de Bossut et de Hez, les coupes d'arbres devaient se faire à douze ans. Tout, chanoine ou chanoinesse pouvait y chasser ou y oiseler (c'est-à-dire poursuivre les oiseaux avec des faucons) à son gré, et chacune des deux parties fut autorisée à y placer trois forestiers. Un tarif détermina le taux des amendes qu'y encouraient les délinquants. Le duc, afin de donner au chapitre plus de garantie pour l'observation de l'accord, le fit sceller par son fils Jean II, qui ne tarda pas à lui succéder.
En 1290, le duc Jean, de l'avis de ses vassaux et de ses sujets, et afin d'améliorer la condition des habitants du bailliage de Nivelles, leur octroya une keure ou charte semblable à celles qu'il accorda la même année aux autres parties du Brabant. La keure pour le « Romanch pays de Brabant » ou Brabant wallon est rédigée en français, tandis que les autres sont en flamand ; toutes n'étaient obligatoires que pour les localités rurales. La plupart des dispositions comminent des amendes ou des peines corporelles, quelquefois très cruelles, contre les criminels ou les délinquants ; quelques-unes offrent des garanties contre l'abus que les officiers du duc pouvaient faire de leur pouvoir.
Une disposition très rigoureuse, qui ne se trouve que dans la keure de Nivelles, interdit à tout officier de justice, autre que le bailli, d'exempter du service militaire, sous peine d'être privé à jamais de tout emploi. Cette keure fut confirmée par le duc Jean II au mois de mai 1312. Parmi les prérogatives que se disputaient les ducs et le chapitre ne figure plus le droit de battre monnaie, que ce dernier avait réclamé en l'an 1040, et, de nouveau, en 1182 et 1209. On n'en rencontre pas la moindre mention dans les actes postérieurs. Les ducs ne tolérèrent jamais dans leurs Etats d'autres ateliers monétaires que les leurs, et ils parvinrent, paraît-il, à supprimer celui de Nivelles au XIIIe siècle, car, après cette époque, on ne trouve plus de monnaies à l'effigie de sainte Gertrude. Toutefois nos princes ont peut-être utilisé cet atelier pour leur propre usage, et il ne serait pas impossible d'attribuer à Nivelles les pièces à l'aigle, que l'on trouve si souvent confondues avec d'autres monnaies brabançonnes. Cet aigle, qui rappelait peut-être les concessions impériales en vertu desquelles les ducs possédaient Nivelles, figura sur plusieurs monuments de cette ville. Nous avons déjà parlé de la Fontaine à l'aigle qui ornait le marché ; un autre aigle orna longtemps le sommet de la collégiale, à l'extrémité du toit de l'abside. Ces circonstances sont de nature à faire considérer comme nivelloises les monnaies portant cet emblème et que l'on ne sait trop à quel atelier attribuer. Ajoutons ici qu'une charte d'une abbesse de Nivelles, de l'an 1209, mentionne un monétaire nommé Ibert (Ibertus monetarius).
Butkens, dans ses Trophées de Brabant, raconte qu'en 1295 la nouvelle abbesse de Nivelles, Yolende de Steyne, s'étant adressée au roi Adolphe de Nassau pour relever de lui ses fiefs, sous prétexte que le duc de Brabant Jean II n'avait pas encore fait le relief de son duché, ce dernier fit saisir les biens du chapitre et contraignit ainsi Yolende à reconnaître ses torts.
Ce fait a besoin de quelques éclaircissements. La possession de Nivelles n'était plus, à cette époque, contestée aux ducs de Brabant. Le roi Rodolphe de Habsbourg et Adolphe de Nassau l'avaient confirmée à Jean Ier, le premier en 1283, le second en 1292, et Albert d'Autriche, le vainqueur et le successeur d'Adolphe, en fit autant en 1298. Jean Ier vivait encore quand Yolende de Steyne fut élue, puisque le chapitre de Liège s'adressa à l'élu de Liège, Guy de Hainaut, pour obtenir de lui une sanction de cette nomination, dès le vendredi avant la fête des SS. Simon et Jude, en 1293. L'abbesse ne pouvant se rendre en personne auprès du roi pour relever ses régales, « ce qui aurait pu causer un grand tort à l'église de Nivelles, qui est, dit Adolphe, notre chapelle particulière (quœ nostra specialis capella exstitit) », le chef de l'empire, le 4 janvier 1294, chargea du soin de recevoir son hommage le comte Arnoul de Los et sire Jean de Cuyck. Par lettre en date du vendredi avant la Conversion de Saint-Paul, en 1293-1294, le comte de Looz invita le chapitre et les maire, échevins et bourgeois à reconnaître Yolende en qualité d'abbesse. Jean Ier vivait encore et comptait Arnoul et Jean parmi ses sujets les plus dévoués. Il est donc probable qu'en choisissant de la sorte ses représentants, le roi entendait éviter de blesser le duc, tout en paraissant déférer aux désirs du chapitre. De même, en 1298, lorsque nous voyons Waleran, sire de Fauquemont, et Jean, sire de Cuyck, déclarer que le roi Albert, en leur présence, a chargé le chevalier Arnoul de Steyne de recevoir l'hommage de Yolende de Steyne (acte en date du samedi après l'Annonciation, en 1298), nous devons douter qu'il se soit à cette occasion élevé un conflit, car deux de ces personnages étaient les conseillers dévoués de Jean II, et le troisième un parent de Yolende, selon toutes les probabilités.
Le goût de la guerre était alors si prononcé que quelques clercs ne craignaient pas de se couvrir d'armes, et de diriger les luttes sanglantes qui éclataient entre les familles. Il arrivait parfois qu'on réclamait des magistrats de Nivelles des trêves ; ces faux clercs, alléguant leur qualité, refusaient d'en accorder, afin de ne pas encourir d'amendes pour le cas où la trêve serait violée. Ces abus étant venus à la connaissance de l'autorité épiscopale, l'official de Liège autorisa le maire et les échevins à sévir contre de pareils clercs, à les forcer à entrer dans les trêves, et à les emprisonner au besoin, s'ils refusaient de payer les amendes (acte en date de la veille de la Division des Apôtres, en 1294). Toutefois, les désordres continuèrent; ils allèrent si loin que l'évêque Hugues de Chalons autorisa, pour une année, l'abbesse à faire arrêter les clercs en cas de flagrant délit, à la charge de les remettre dans les trois jours à l'official, qui devait procéder contre eux (diplôme daté du jour de Tous les Saints, 1er novembre 1299).
Il y avait alors à Nivelles 14 échevins, qui restaient en fonctions jusqu'à révocation. Par le conseil et du consentement du duc, et pour le plus grand profit de la ville, on les invita à renoncer à leur office. Ils furent remplacés par sept échevins, que l'on réélisait tous les ans (charte du duc, du lundi après la Saint-Luc, en 1296).
Au commencement du XIVe siècle, lorsque la plupart des bourgeoisies du Brabant se soulevèrent, en réclamant des institutions plus démocratiques, Nivelles s'associa de nouveau aux démonstrations des villes voisines. C'est ce qui résulte à l'évidence de l'acte par lequel le maire Henri Mostarde, les sept échevins, cinquante autres personnes, qui sont nominativement désignées, et toute la commune, réunis au couvent des Frères mineurs, le dimanche après la Division des apôtres, en 1306, reconnurent devoir au duc Jean II la somme de 20,000 livres de petits tournois noirs (16 deniers évalués à 1 vieux gros), savoir : 4,000 payables à la Noël suivante et 2,000 à la Toussaint, les années suivantes. A la prière de la commune, le maire et quatre des échevins apposèrent leurs sceaux à cet acte.
Le duc ayant fait briser les portes de la prison abbatiale, d'où on enleva, par ses ordres, Ansiau, fils de Jacquemart de Samme, et une autre personne, que l'on accusait de la mort de Jean Des Canges, reconnut ensuite qu'il avait excédé ses droits et donna une déclaration en ce sens, le vendredi après l'octave des SS. Pierre et Paul, en 1307.
Une place d'échevin étant venue à vaquer, les six autres, malgré l'abbesse, se choisirent un collègue. Yolende de Steyne réclama l'intervention de Jean II, et celui-ci reconnut qu'elle avait le droit d'établir les échevins et de les destituer, à sa volonté; l'autorisa à sévir contre eux, lui permit même de les conduire hors de Nivelles pour les forcer à une plus prompte soumission, et s'engagea à ne donner aucun appui à l'échevinage ni à la ville, aussi longtemps qu'ils ne seraient pas rentrés dans le devoir (charte du samedi après la Saint-Pierre, au commencement d'août, en 1308).
Ces débats paraissent avoir eu des suites fâcheuses pour les finances communales, qui se trouvèrent, à la fin du règne de Jean II, dans l'état le plus déplorable. Les dettes dues par Nivelles aux Lombards et à d'autres s'élevaient à plus de 20,000 livres. A la demande des habitants, l'abbesse obtint du duc Jean la faculté de lever un impôt, à deux, trois ou quatre reprises, de concert avec ceux qu'elle convoquerait à cet effet. Chaque bourgeois ou bourgeoise, ayant des biens à Nivelles, devait être taxé suivant sa fortune, de manière à ce qu'on pût réunir la somme de 26,000 livres. Ordre fut donné par le duc à son bailli de Nivelles et à tous ses autres justiciers de prêter main-forte, au besoin, pour le recouvrement, des cotes imposées (14 avril 1312). Sur le produit de l'impôt, on paya au duc 2,500 livres, et encore 132 livres qui lui avaient été promises, et Jean II donna quittance de ces deux sommes, le jeudi après la Pentecôte suivante, à l'abbesse, au chanoine Henri de Houtain, qui avait sans doute la surveillance delà perception de la taxe, et aux bourgeois.
En la même année mourut Jean II. Ce prince avait séjourné plus d'une fois à Nivelles, où, le 11 mai 1308, lui et plusieurs princes voisins: Guillaume, comte de Hainaut; le comte Henri de Luxembourg, son beau-frère, depuis roi des Romains sous le nom de Henri VII ; Jean de Flandre, comte de Namur ; le comte de Juliers, Gérard, et le comte de Looz, Arnoul, conclurent une alliance défensive et offensive contre tous, sauf contre les rois d'Allemagne et de France. Le comté de Flandre et l’évêché de Liège restèrent en dehors de celte confédération, dont la création, toutefois, n'entraîna pas de guerre générale en Belgique. Ce fut encore à Nivelles que le duc Jean et d'autres arbitres, en 1309, adjugèrent le château et la terre de Mirwart au comte de Hainaut, à la condition qu'il les relèverait de l'évêque de Liège.
Une institution de premier ordre, par laquelle Jean II signala la dernière année de sa vie, attacha au duché, plus intimement encore, la ville de Nivelles. Nous voulons parler du conseil de Cortenberg, tribunal supérieur qui devait surveiller l'administration de la justice et la gestion des officiers du prince. Il se composait de chevaliers ou nobles et de députés choisis par les principales villes. Nivelles n'acquit pas immédiatement, mais seulement en 1330, le droit d'y envoyer un député, quoiqu'elle eût concouru à cette institution nouvelle, dont elle scella la charte. Nous avons vu la ville intervenir dans presque tous les grands actes qui concernent le Brabant ; elle continua à avoir ses représentants aux états du duché, dont les archives restèrent longtemps déposées dans ses murs, sous la protection de sainte Gertrude, et les ducs, à leur avènement, eurent toujours soin de venir prêter à la bourgeoisie et recevoir d'eux des serments réciproques de protection, d'une part ; de fidélité, d'autre part. C'est ce que firent, entre autres Antoine de Bourgogne, en 1406, Jean IV, en 1418, Philippe de Saint-Pol, en 1427, Philippe de Bourgogne, en 1430, Charles le Téméraire, en 1468, et Philippe le Beau, en 1496.
Lorsque, à l'avènement du duc Jean III, en 1314, l'administration des domaines du Brabant fut confiée à deux nobles et aux députés des principales villes, Nivelles fut comprise parmi celles-ci. L'année suivante, on la trouve au nombre des cités brabançonnes qui conclurent avec Malines une alliance défensive et offensive. Ce dernier acte avait pour but de défendre Malines contre le comte de Hainaut, qui venait d'y acquérir, probablement contre le gré des habitants: la souveraineté et seigneurie, par cession de l'évêque et de l'église de Liège, et l'avouerie, par cession de Florent Berthout. Il s'ensuivit entre le comte et le duc une rupture momentanée: Le 12 février 1315-1316, les deux princes déclarèrent par devant notaires renoncer à toutes les alliances et confédérations qu'ils avaient antérieurement conclues, formalité qui s'accomplit dans l'église de Sainte-Gertrude de Nivelles, par leurs députés Gérard, sire de Diest, Arnoul, sire de Wesemael, Othon de Cuyck, Gérard de la Marck, sire de Redichem, Daniel de Bouchout, Arnoul de Hellebeke, Jean d'Ophain, chevaliers, de la part du duc : Walter sire d'Enghien, Godefroid, sire de Naast, Eustache du Rœulx, Baudouin, sire de Fontaines, Guillaume, sire de Gomignies, Walter de Rêves, Jean de Cruningen et Everard Floresies, de la part du comte. Peu de temps après l'achat de Malines fut annulé.
Le 21 octobre 1324, le duc accrut considérablement l'influence qu'il exerçait à Nivelles, en achetant, pour le réunir à son domaine, un fief considérable que la famille de Trazegnies possédait dans cette ville et aux alentours, et que l'on connaissait, de temps immémorial, sous le nom de Fief de Rognon: c'est ce qui résulte de l'acte suivant:
« Nous, Jehans, sires de Trasignies, faisons savoir à tous que nous avons vendu bien et loialement a haut prinche et puissant, Jehan, par la grasce de Dieu duc de Lothrike de Brabant et de Lembourch, nostre chier et ameit seigneur, tout nostre fief gysant à Nivelle ke on apielle le fief do Roignon, ense comme nous le tenimes de lui, en cens, en rentes, en terres, en bos, en preis, en aiwes, en bleis, en aveines, en capons, en poilles, en toutes autres manières de revenues quelles que elles soient, avoeques tous les hommages appartenans au dit fief gysans à demie lieuwe près de Nivelles, et recognissons quil a asseiz fait envers nous en droit dou fief dessus dit, et len clamons quitte pour nous et pour nos hoirs et pour nos successeurs pour a tous jours Et lui avons en couvent et promettons loiautment que aussi tost comme nous porrons chevauchiet, que nous nos trairons deviers lui et il ferons asseis dou fief dessous nommeit en toutes les manières que nous les sommes tenu a faire et que nous le porrons le miex et le plus seurement faire pour lui, par quoi che sera asseiz pour a tous jours pour lui pour ses hoirs et pour ses successeurs. En tesmoignage desquelles choses nous avons mis nostre sceel il ces présentes lettres en seigne de veriteit, faictes et données le jour des onse mille virgines en l'an de grasce mil trois cent vint et quattre ».
Immédiatement après avoir signé cet acte, le sire de Trazegnies remit aux échevins du fief le serment qu'ils lui avaient prêté et les renvoya au duc afin qu'il agréât leurs services et qu'il reçût d'eux un autre serment. Outre ce fief et juridiction, où il avait haute, moyenne et basse justice sur presque toute la banlieue de Nivelles (plus de 1,900 bonniers), un cens très considérable, des arrière-fiefs etc., Jean III maintint la petite commune qui, sous la protection de ses prédécesseurs, s'était formée aux environs de la chapelle Saint-Jean, et qui avait pris le nom de Franc Staux ou Franc-Etau, parce que de grandes franchises y avaient été accordées aux habitants. La charte suivante, en date du 24 janvier 1333-1334, constitue la plus ancienne preuve de ces franchises:
« Nous Jean, par la grâce de Dieu, duc de Lothier, de Brabant et de Limbourch, faisons scavoir à tous que come nous (nos) gens de Fransstaux estant deles le chapelle de les Nyvelle, nous aient acest fois fait aucun service de leur argent si comme de payer plusieurs grosse some d'argent, que ly Roy de France nous a prononcie a payer a ceux qui contre nous estoient alyes, que ce n'ont ilh nie faict de nul droiz, que ilh nous estoient tenus de faire, par grâce nous ont ilh faict, si leur promeetons et avons en couvens que nous les teii-rons et feront tenir desorenavant (dorénavant) paisiblement on tel droict comme ilh estoient devant ceste grasse (grâce) sansmalengien, par le temoing lettre saillée de nostre saylle. Donnet à Bruxelles le lundy devant la conversation Sainct Pol l'an mil trois cent XXXIII ».
De ce document et d'autres que nous mentionnerons plus loin, il résulte que les tenanciers jurés de Franc Etau jugeaient au civil et au criminel, que seuls ils avaient qualité, dans le ressort de leur juridiction, pour accorder des subsides au duc et les faire percevoir. Appuyés par les habitants de cette juridiction, par les tenanciers de Rognon, par la bourgeoisie de Nivelles, qui épousait constamment leurs intérêts, par leurs nombreux vassaux du Brabant wallon, les ducs de Brabant étaient en réalité tout puissants dans les domaines du chapitre, et les démonstrations puériles de ce dernier n'aboutissaient en réalité qu'à témoigner de leur influence toujours croissante.
Deux frères de Soignies ayant grièvement frappé de leurs glaives un Nivellois nommé Gérard le Brulhoire, au point qu'on craignit pour sa vie, les coupables se réfugièrent dans l'église de Sainte-Gertrude. Les officiers de justice exigèrent qu'on les leur livrât, mais le chapitre y mit opposition en alléguant le droit d'asile. L'évêque de Liège, chef du diocèse, termina le débat en décidant que les coupables ne pouvaient jouir de l'immunité ecclésiastique (diplôme en date du jeudi après le dimanche Judica, en 1324).
Jean III, redouté de ses voisins, eut fréquemment à lutter contre eux. Un de ses plus ardents adversaires fut le roi de Bohême, Jean de Luxembourg, son cousin. Au mois de décembre 1328, ce prince vint à Nivelles pour terminer ses contestations avec le duc, mais, au lieu de lui apporter des paroles d'amitié, il l'accusa, dans une conférence qu'ils eurent près de cette ville, d'avoir fait surprendre et démanteler la ville de Fauquemont ; Jean III nia que cette surprise eût eu lieu par son ordre, et les deux parents se quittèrent fort mécontents l'un de l'autre.
Quelques années après, le roi parvint à former contre le duc une puissante coalition ; une première guerre de courte durée, en 1332, fut suivie d'une courte trêve, et celle-ci d'une seconde prise d'armes, en 1334. Dans cette dernière, le roi de France se déclara l'allié de Jean III, et lui envoya des secours, sous le commandement, de Charles, comte d'Alençon, frère du roi, de Philippe, roi de Navarre, et du comte d'Etampes, son frère. Forcé de marcher vers la Meuse, le duc ne put aller en personne à la rencontre de ces princes, mais il y envoya deux de ses barons: les sires de Wesemael et de Leefdael, qui les rencontrèrent près de Nivelles. A la suite de cette guerre et de la paix assez onéreuse qui s'en suivit, le duc de Brabant, de concert avec les nobles et les villes de ses Etats, ordonna, en l'année 1334, d'ouvrir une enquête générale sur la gestion des officiers de justice, tant ceux du prince que ceux des seigneurs particuliers. Dans le Brabant wallon cette mission fut confiée au bailli Egide ou Gilles Le Clerc, et à Amelric Was ; ce qui donna de nouveau occasion au chapitre de protester: la haute et basse juridiction, disait-il, lui appartenant à Nivelles et l'enquête ayant été ordonnée sans son consentement (2 août 1335).
Le 24 juin 1337, à la requête de l'abbesse, l'official de Liège exempta la ville et sa banlieue de l'interdit qui avait été jeté sur le Brabant, parce que le duc avait usurpé quelques biens appartenant au chapitre de Saint-Denis de Liège ; l'abbesse avait remontré à l'official que les droits du duc se bornaient à l'avouerie.
Deux ans plus tard, la ville de Nivelles adhéra au traité d'alliance qui, grâce à l'influence de Jacques d'Artevelde, se négocia à Gand entre le Brabant et la Flandre ; mais lorsqu'elle fut engagée à le sceller, elle déclara n'avoir pas de sceau particulier et se servir de celui de l'abbé de Gembloux. Elle en agit de même en 1354, lors de la conclusion d'une alliance entre les nobles et les villes pour la défense du duché; mais elle eut ensuite un sceau propre, qu'elle apposa, en 1372, à la charte de Cortenberg, et, en 1415, à une nouvelle confédération des Etats de Brabant et de Limbourg.
L'année 1340 fut marquée par la mort de l'abbesse Yolende qui, en testant, laissa au chapitre le château d'Argenteau, qu'elle avait bâti à Monstreux. L'élection d'Elisabeth de Liedekerke fut suivie d'une longue anarchie. A peine était-elle choisie, que des chanoines et des chanoinesses vinrent, au nom du chapitre, la sommer de relever ses régales de celui de qui elle devait les relever, d'après l'antique usage, et de telle manière que l'église n'eût pas à en souffrir. C'était provoquer de nouveau une rupture avec le Brabant. Elisabeth leur ayant demandé conseil, ces délégués répondirent qu'ils n'étaient pas tenus à lui en donner un (21 août 1340). Dans son embarras, et comme Louis de Bavière, frappé des foudres de l'excommunication, était inhabile à recevoir son hommage, l'abbesse crut tout sauver en envoyant un fondé de pouvoirs à Avignon et en offrant de relever du pape, mais lorsque ce mandataire se présenta au palais pontifical, le concierge, Guillaume Bourdin, répondit que ce n'était pas le moment de se présenter devant le souverain pontife, et de son côté le chapitre protesta de nouveau (5 mars 1341). Ces démarches n'aboutirent, à ce qu'il semble, qu'à une nouvelle confirmation par Benoît XII des biens du chapitre et des exemptions d'impôts dont ce corps jouissait (27 janvier 1341).
Le duc Jean III se montra peu disposé à souffrir ce mépris de son autorité. Il manda auprès de lui, à Louvain, et cita à comparaître devant son conseil, en cette ville, quelques bourgeois. Ceux-ci, n'osant partir, n'osant rester, communiquèrent leurs craintes à des chanoinesses, qui les déterminèrent à obéir, en les engageant à ne rien faire contre les droits du chapitre (8 mars 1341). Deux jours après parut une charte, par laquelle Jean III, en punition de la félonie de l'abbesse, destituait son maire et ses échevins, et nommait un autre maire, Henri Cache, et de nouveaux échevins: Jacques Malchachies, Godefroid Baie, Thibaud Balenze, Jean Elbaus et Nicolas Capelle, à qui il promit de les protéger de tout son pouvoir et de faire exécuter les décisions qu'ils prendraient, les sentences portées par eux. Une protestation du chapitre, en date du lendemain, n'aboutit à aucun résultat. Le sénéchal de Brabant, Jean Pulleman, occupa à main armée les biens de la communauté, et des chanoinesses, qui voulurent résister ou provoquer à la résistance, furent insultées et battues par ses gens.
Le plus sage eût été de céder, en se bornant à protester, mais le chapitre, ou du moins quelques-uns de ses membres restèrent livrés à une vive exaspération.
A leur instigation, le chapitre se décida à envoyer de nouveau une requête au pape. L'abbesse, consultée sur la question de savoir si elle voulait que son nom y fût ajouté, répartit sèchement qu'elle devait aviser à ce sujet; peu satisfait de cette réponse ambiguë, le chapitre lui fit savoir que, si elle le désirait, il enverrait, de concert avec elle, interroger les docteurs de Liège. « J'y enverrai bien seule », s'écria alors l'abbesse. Jeanne de Houplines, l'âme de tout ce débat, ayant encore pressé Elisabeth de Liedekerke au sujet des régales, ne reçut pas de réponse plus positive. La requête au pape, que cette chanoinesse avait rédigée, fut adoptée en assemblée générale le 14 mai 1342. Mais l'abbesse avait pris son parti, et elle y persévéra d'autant plus qu'elle reçut un diplôme impérial de Louis de Bavière, daté du château de Furstemberch, le 15 septembre 1343 et lui ordonnant-elle, au doyen et au chapitre, d'obéir au duc en tout ce qui concernait les régales, les fiefs et le temporel de leur communauté. Les chanoinesses adressèrent vainement plusieurs protestations à l'évêque de Liège ; ce prélat, alors en guerre avec ses propres sujets, avait le duc pour principal allié, et ne pouvait songer à le froisser. Le 25 août 1347, le chapitre reconnut Elisabeth pour abbesse, mais en déclarant qu'il ne cédait qu'à la force et qu'il n'entendait pas approuver sa conduite. Le lendemain, les chanoinesses se plaignirent d'elle parce qu'elle prétendait agir en qualité de princesse; le 29 du même mois, elles formulèrent une nouvelle déclaration, où elles disent que si elles ne résistent pas, c'est par crainte du duc, qui les a privées de leurs prébendes.
Des scènes analogues se renouvelèrent après que Louis de Bavière eut cessé de vivre. Bien que Charles de Luxembourg, qui occupa alors le trône impérial, vécût dans l'entente la plus cordiale avec Jean III, le chapitre recommença ses éternelles et inutiles protestations. Charles crut un moment que c'était de lui que l'abbesse devait prendre ses régales, mais il s'empressa bientôt de confirmer et de proclamer les prérogatives de son parent. Il intima à l'abbesse l'ordre de reconnaître la suzeraineté de Jean III (diplômes, au nombre de deux, datés de Wustkerck, le 27 février 1349) et confirma à ce prince les concessions émanant de ses prédécesseurs, et en dernier lieu d'Albert d'Autriche (25 juillet 1349). L'autorité papale se montra plus favorable au chapitre. Le 21 mai 1350, Clément VI, par une bulle donnée à Villeneuve près d’Avignon, rappela et ratifia les célèbres diplômes du roi Henri III (de l'an 1040) et de l'empereur Othon (de Lan 1209), qui avaient essayé d'anéantir le pouvoir des comtes de Louvain et des ducs de Brabant dans la ville de Nivelles.
Plus tard, lorsque Mathilde de Leeuwenberch succéda à Elisabeth de Liedekerke, le roi Charles renouvela ses injonctions et prescrivit au prévôt et au chapitre d'obéir à Jean III (diplôme daté de Wratislau, le 26 novembre 1351). Un épisode curieux révèle l'ennui que causaient ces débats. Les chanoinesses Mathilde de Schleyden et Agnès de FaiIIy étant allées chez Jean, le curé de Notre-Dame, porter un ordre du chapitre de Liège, cet ecclésiastique se cacha pour les éviter, de telle sorte qu'on ne put le trouver ; aussitôt nouvelle protestation (20 avril 1352). Après plusieurs efforts inutiles pour la défense de ses droits, le chapitre ordonna à ses délégués d'aller implorer l'appui de l'archevêque de Cologne (24 novembre 1352). Mais, vainement il rappela qu'il n'avait jamais reconnu Elisabeth de Liedekerke pour une vraie abbesse et qu'il ne lui avait obéi que par force (12 février 1353) ; vainement il protesta contre l'acte par lequel Mathilde avait pris ses régales du duc (2 mars de la même année). Un diplôme impérial, daté du 14 mars de l'année suivante, enjoignit aux chanoinesses et aux chanoines d'obéir à Mathilde. Accablées de menaces par le duc, se voyant depuis plusieurs années privées de leurs revenus, les chanoinesses se décidèrent enfin à céder, mais en déclarant encore que les régales devaient être relevées de l'empereur lui-même, ou, en son absence, de son délégué (6 décembre 1354).
En 1356, Nivelles fut prise par le comte de Flandre Louis de Mâle, et, peu de temps après, reprise par le duc Wenceslas de Luxembourg, époux de Jeanne, fille aînée de Jean III. Pendant la guerre, Nivelles, ainsi que les six autres principales villes du duché, avait avancé à Wenceslas et à Jeanne, pour leur entretien, la somme de 15,000 vieux écus d'or, que ces princes s'engagèrent à leur rembourser, le 5 juin 1356. Quelques seigneurs firent hommage à Louis de Mâle après la bataille de Scheut, et l'un d'eux, Gilles Le Clerc, d'Ittre, fut nommé par ce prince bailli du Brabant wallon, le 26 septembre 1356 ; mais la plupart des grands vassaux, et notamment l'abbesse de Nivelles, les sires de Marbais, de Braine-le-Château, de Perwez, de Walhain etc., restèrent fidèles à leur prince, dont les ennemis ordonnèrent, le 4 octobre, de confisquer leurs terres.
Nivelles ayant à payer des sommes assez fortes pour sa cote dans l'entretien des gens d'armes que Wenceslas avait postés à Bruxelles, les administrateurs municipaux: les échevins et ceux appelés les Quatorze (c'est-à-dire les jurés, parmi lesquels il y en avait quatre plus spécialement chargés des finances), sollicitèrent l'autorisation de lever une taille sur tous les habitants, tant sur ceux qui habitaient dans la juridiction du duc que sur les sujets de l'abbesse et des autres seigneurs, de quelque condition qu'ils fussent.
Cette taxe était basée sur le revenu annuel, à raison de 6 sous par muid de blé. L'abbesse, invitée à donner son consentement, ne le refusa pas, mais le chapitre s'empressa de saisir l'occasion de témoigner de ses sentiments, et, à sa demande, l'official de Liège invita les magistrats de Nivelles à exempter ce corps et ses biens, sous peine d'encourir une sentence d'excommunication et une amende de 50 florins d'or (17 mars 1357). Le jugement arbitral de Guillaume de Hainaut, qui mit fin à la guerre, condamna plusieurs villes du Brabant, et Nivelles entre autres, à servir à leurs dépens le comte Louis de Mâle, une fois par an et pendant six semaines, avec leur bannière, accompagnée de 25 hommes d'armes.
Plusieurs privilèges récompensèrent à cette époque l'attachement des Nivellois à leurs souverains. Le 20 août 1357, en remerciement du dévouement qu'ils avaient montrés pendant la guerre de Flandre, Wenceslas et Jeanne approuvèrent la construction de la halle qui avait été édifiée du consentement de l'abbesse, et du commun accord des échevins et bonnes gens, et déclarèrent qu'eux et leurs successeurs ne feraient bâtir aucune halle pour la vente du grain, ni aucun poids public, à une lieue à l'entour de Nivelles, aussi longtemps que cette ville leur paierait, pour le premier de ces édifices, un cens annuel de dix sous de Louvain, et pour le second un cens de cinq sous.
— Le 1er novembre 1357 une charte autorisa les bourgeois à repousser par les armes les afforains ou gens du dehors qui attaqueraient un bourgeois, et les exempta de toute pénalité pour le cas où une querelle de ce genre occasionnerait des meurtres ou des blessures.
— Le 1er juillet de l’année suivante, l'abbaye de Cambron en Hainaut fut condamnée à fournir, à la ville, chaque fois qu'on ferait travailler aux fortifications, et comme elle l'avait fait de temps immémorial, ce que l'on appelait le beinaul de Haurut, c'est-à-dire un chariot, avec chevaux et valets, provenant de la ferme de Haurut, située à Ronquières et appartenant au monastère précité.
— Le 4 juillet 1358, en considération de ce que les bonnes villes et le pays de Brabant leur avaient accordé une aide à la condition que les bourgeois des villes ne pourraient être arrêtés pour les dettes de leurs princes, et que les villes ne seraient tenues qu'à payer le montant de leur cote, Wenceslas et Jeanne défendirent sévèrement de saisir les biens des bourgeois de Nivelles.
— Le 2 mai 1366, à la suite de quelques plaintes contre les officiers de justice à Nivelles, les souverains du Brabant déclarèrent que les bourgeois ne pourraient être jugés que par leurs magistrats, et que « les gouverneurs de la ville qu'on appelle les quatre » auraient la faculté d'accenser une partie des fortifications.
Le chapitre se trouvait à cette époque dans une position difficile. Après avoir accepté Jean T'Serclaes pour arbitre de ses débats contre l'abbesse (3 novembre 1357), et signé avec celle-ci un accord qui stipulait l'observance des anciens règlements et l'obligation, pour l'abbesse, de faire percevoir les revenus dits de la prébende de Brabant (10 mai 1359), le chapitre fut signalé à l'évêque de Liège comme se trouvant dans un état déplorable, sous le rapport de la discipline. Engelbert de la Marck prescrivit l'observance de nouveaux statuts, qui furent publiquement lus à Nivelles, le 13 mars 1361. Mais le chapitre, se prétendant exempt quant à ce qui concernait ses membres eux-mêmes, de la surveillance du chef du diocèse, en appela à Rome. L'évêque ne recula pas. Il adressa au pléban ou curé de l'église de Notre-Dame et au prêtre de l'église du Saint-Sépulcre, de Nivelles, un monitoire, dans lequel il dépeint, sous les couleurs les plus noires, l'esprit d'insubordination qui animait le chapitre, et il ordonne à ces deux ecclésiastiques de procéder à une seconde lecture de ses statuts et d'en prescrire l'observance, sous peine pour les contrevenants d'être frappés des foudres de l'église (12 juillet 1363). Ses ordres furent exécutés, le jeudi après la fête de Saint-Jacques et de Saint-Christophe, en la même année, mais sans que l'on tint grand compte de ses injonctions.
L'évêque Jean de Hornes, son successeur, ayant voulu suivre son exemple, vit également se produire un appel au pape, mais il déclara « s'émerveiller fort » de cette résistance et vouloir exécuter « ce à quoi il étoit tenu » (29 janvier 1368). Malgré les protestations de la prévôté Marie de Spontin et de ses partisans, les chanoinesses comparurent au palais épiscopal et se soumirent, le 7 août 1370, le 13 mars 1372, elles reçurent de nouveau, du même évêque, l'ordre de respecter les statuts d'Engelbert.
En 1361, à la suite de négociations qui se poursuivirent entre le comte de Flandre et le duc et la duchesse de Brabant, une partie des archives ducales furent transportées de Louvain à Nivelles, où on les plaça dans une tour de l'église de Sainte-Gertrude. Cette opération s'effectua par les soins de quatre délégués : deux de la part du duc, Jean, sire de Bouchout, et Bernard, sire de Bornival, et deux de la part du comte, Henri de Flandre et Henri de Namur. Eux seuls devaient avoir la clef de ce dépôt.
Le duc Wenceslas séjourna maintes fois à Nivelles, notamment en 1364, 1366, 1367 etc. Le jeudi avant la Saint-Barthélemy 1364, il partit de Nivelles pour aller à Binche, escorté par le bailli Libert de Liroul, à la tête de 198 cavaliers, dont 72 hommes d'armes ; Libert reçut de ce chef la somme de 509 livres 2 sous payement. En 1366, le duc fut pris pour médiateur entre la ville et l'abbesse, qui avaient un débat à vider. La veille de la Saint-Jacques 1367, le duc se trouva encore à Nivelles et y dépensa, lui et plusieurs seigneurs, 450 livres 18 sous payement.
Jeanne et Wenceslas ayant placé dans l'échevinage deux personnes de Nivelles, Frankart Capelle et Renard Hott, qui étaient « francques », c'est-à-dire qui étaient exemptes des charges qui pesaient sur la bourgeoisie, ou prétendaient l'être, et ayant ordonné aux autres échevins de les accepter pour collègues, la ville réclama contre cette infraction à ses droits et obtint, en effet, des lettres de non-préjudice, qui portent la date du 16 février 1372-1373. La bonne harmonie qui avait existé entre Nivelles et ses souverains fut plus sérieusement troublée, lorsque Wenceslas se montra mécontent des difficultés que les communes du Brabant apportaient à lui octroyer des subsides. Il rassembla une armée à Genappe et, le 9 avril 1374, s'approcha de Nivelles dans l'intention d'en faire le siège ; mais l'évêque, le chapitre et le pays de Liège interposèrent leur médiation, qui amena la conclusion du traité de Braine-l’Alleu.
A la mort de l'abbesse, on choisit pour lui succéder Catherine de Halewyn, que le duc, à l'invitation de son neveu, l'empereur Wenceslas (datée de Prague, le mardi après la Saint-Georges, en l'an 1381), investit de ses régales par lettres patentes données à Bruxelles, le 2 septembre de la même année. Catherine vécut jusqu'en 1417.
Le règne de la duchesse Jeanne marque l'époque de la plus grande puissance de la commune nivelloise. Les concessions que celle-ci obtint, tant de la souveraine du Brabant que des abbesses, assurèrent le triomphe de ses libertés, que tant d'orages avaient menacées dans les temps antérieurs.
La perception des assises, la principale branche des revenus locaux, fut définitivement assurée à la ville. Déjà, en vertu d une charte de Wenceslas et de Jeanne, du 4 septembre 1375, c'était aux jurés, dont le nombre était alors fixé à dix, à nommer ceux qui les prélevaient et qui étaient au nombre de quatre, comme on le voit par un diplôme de Jeanne. Ces quatre rendaient compte tous les ans, en présence des jurés, au bailli du duc et à son lieutenant ; l'abbesse ou son maire pouvait aussi intervenir dans ces occasions, mais s'ils ne se rendaient pas à la convocation qu'on leur adressait, il était passé outre à la vérification. Un diplôme du 3 décembre 1385, qui sanctionna un règlement arrêté la veille par le sire de Witthem, sénéchal, et par le receveur du Brabant, autorisa les jurés à punir les quatre qui se permettraient quelque abus dans l'exercice de leurs fonctions, et les laïques ou ecclésiastiques qui tenteraient d'amoindrir le produit des assises.
On affectait cependant, à la cour de Bruxelles, de paraître respecter certaines prérogatives de l'abbesse. C'est ce que prouvent plusieurs missives écrites par la duchesse Jeanne afin d'obtenir d'elle un ordre pour faire sonner la cloche dans la ville et en armer les habitants. Une première lettre de ce genre fut écrite le 24 mai 1387, lorsqu'il fut question de réprimer les grands torts que le duc de Gueldre causait au pays ; une seconde fut expédiée le 6 mai de l'année suivante, à l'approche de l'expiration des trêves conclues avec ce prince.
Le 20 juillet 1390, la duchesse Jeanne déclara que la perception des assises se ferait dans toute l'étendue des dix paroisses (la onzième, Thines sans doute, était exemptée). Elle confirma une récente concession de l'abbesse en vertu de laquelle tout méfait commis à Nivelles devait être jugé dans cette ville par les échevins dans les trois jours après la perpétration du délit, et de plus, elle permit à la commune de poursuivre les malfaiteurs dans toute l'étendue du Brabant wallon.
Une charte du 4 novembre 1391 conféra aux valets ou sergents établis par les quatre (ou rentiers) le pouvoir de « panner et wagier » (d'arrêter et de forcer à donner caution) ceux qui se refuseraient à payer les assises. Jusqu'à cette époque, on se bornait à bannir, en leur coupant le poing, les coupables qui ne pouvaient payer les amendes auxquelles ils étaient condamnés. Cet usage amena de graves abus, auxquels la duchesse, de concert avec l'abbesse, les prévôts du chapitre et le maire, essaya de pourvoir, le 26 octobre 1396. La ville fut autorisée à convertir en prison, à ses frais, une porte de son enceinte, où, à défaut de payement, on garderait au pain et à l'eau, pendant trois ans, ceux qui auraient encouru une amende de 60 mailles d'or ; pendant deux ans, ceux dont l'amende ne s'élèverait qu'à 20 mailles ; et pendant un an, ceux qui ne devraient qu'une amende de 10 mailles. Dans le cas où des aumônes seraient données pour les captifs, on améliorerait la condition de ceux-ci. Les parents pourraient en cas d'urgence, faire enfermer dans cette prison ceux de leurs enfants qui se conduiraient mal.
Un record du 18 janvier 1403, émané du magistrat, agissant de concert avec les maîtres des métiers, que l'on cite alors pour la première fois, interdit aux bourgeois de céder à « des frankes gens (nobles, prêtres etc.) ou à des afforains (ou étrangers), un bien mouvant du bourg de Nivelles » (c'est-à-dire, qui ressortissait à la juridiction locale et en suivait la coutume), et autorisa les parents ou d'autres à en revendiquer la possession, en en payant vingt fois le revenu.
Renforcée par l'admission dans son organisation d'un élément plus démocratique, la commune se montrait de plus en plus turbulente et audacieuse. Le Brabant avait pour sénéchal le sire de Hesewyck qui, en soutenant ses amis, exilés de Bois-le-Duc, avait provoqué dans cette ville des troubles violents. Fier de ses alliances avec la majeure partie des nobles du duché, ce seigneur ne ressentait sans doute que du dédain pour les bourgeoisies. Il arrêta, on ne sait pour quelle cause, un habitant de Nivelles, mais la population de cette ville le lui arracha des mains. La duchesse Jeanne se montra très mécontente de cette offense ; toutefois elle pardonna aux coupables, à la demande des villes de Louvain et de Bruxelles (1403).
Avec le soutien de la Province du Brabant Wallon |