Malgré des orages passagers qui avaient troublé leurs relations avec leur souveraine, les Nivellois restaient toujours dévoués aux princes brabançons. Ils en donnèrent la preuve en 1406, lorsqu'après la mort de la duchesse Jeanne le pays passa à une autre dynastie, à une branche de la famille de Bourgogne. Les rentiers (ou quatre), les dix jurés, les maîtres des métiers et la généralité des habitants, réunis, déclarèrent unanimement qu'à Nivelles « on ne tenoit aucun seigneur que monseigneur de Brabant, et que madame, c'est-à-dire l'abbesse, n'y possédoit que ce que ses échevins lui adjugeoient ». Défense fut faite d'accepter un emploi de la commune à ceux qui porteraient des draps ou des parures (ou livrées) d'un seigneur ou d'une dame, et comme on travaillait alors aux fossés, il fut interdit de donner, au nom de la ville, « aide et comfort » à celui qui refuserait de contribuer à cette dépense.
D'après un manuscrit du XVe siècle, voici en quels termes les ducs de Brabant juraient le maintien des libertés nivelloises:
«N., duc de Lothier, de Brabant, de Lembourg et marquis du saint empire, jure et prometh que je lenray et feray tenir, bien et loyaulment à la ville de Nyvelle, et à tout le Romanch pays de Braibant, si comme boin et loyaul seigneur est tenus de faire, tous leurs drois, privilleges, Chartres, status, usages, coustumes, frankises et liberteis, si comme ycelle ville de Nyvelle et le Romanch pays de Braibant les ont eu de nos prédicesseurs, dux et ducesses de Brabant, et de nous sans enfraindre. Si moy aide Dieu et ses sains et tous les sains de paradis, saveit et wardeit les drois de madamme sainte Gertrud et del église ».
Les bourgeois répondaient par le serment suivant : « Nous tous ensamble et chacun de nous promettons, jurons et creantons que a notre très redoubté seingneur monseingneur le duc de Braibant et de Lembourg , doresenavant serons bons et loyaulx son droit et seignorie aidier maintenir et garder et son tort aidier deffendre contre chacun , et faire en ce et servir en toutes choses comme bons et loyaulx subges sont tenus de faire a leur droiturier et naturel seigneur. Si nous aide Dieu et tous sens saints de paradis ».
Ces textes prouvent que ce fut le duc Antoine de Bourgogne et non la bourgeoisie, comme le dit à tort l'historien De Dynter, qui, lors de l'avènement de ce prince, en 1406, réserva, dans son serment, les droits de l'abbesse et de l'église de Nivelles.
En 1403, lorsque le comte de Hainaut, marchant contre les Liégeois, brûla Fontaine-l’Evêque et plusieurs autres localités voisines de la Sambre, quelques habitants de ce pays vinrent habiter Nivelles, en emportant ce qu'ils purent sauver. Ils n'entendaient pas, cependant, manquer à leurs devoirs envers leur patrie, car ils partirent pour voler à sa défense, après avoir demandé au bailli de Nivelles l'autorisation de revenir, « quand il leur plairoit », auprès de leurs femmes et de leurs enfants.
Au commencement de l'année 1411, Piérard de Samme, de Nivelles, fit emprisonner le chevalier Jean de Pottes, pour une somme d'argent dont celui-ci lui était redevable. L'arrestation ayant été faite par Gérard de Marbais, sergent de l'abbesse, dans une maison qui ressortirait à la juridiction ducale, le bailli fit saisir Gérard lui-même, que l'on conduisit à Genappe, et qui n'obtint sa liberté qu'à la condition de payer 120 couronnes ou 22 livres de gros (lettres patentes datées du 1er février 1410), somme dont Piérart garantit le payement.
Lors de la vacance de l'abbatialité, en 1417, le bailli de Nivelles fut chargé par le duc Jean IV de garder cette ville pendant qu'on y procéderait à l'élection d'une nouvelle directrice du chapitre. Il s'y rendit avec 15 « compagnons » d'armes et y resta 3 jours, ce qui coûta au domaine 20 couronnes (ou 4 livres 13 sous, 4 deniers). La nouvelle élue, Isabelle de Frankenberch, suivit l'exemple de quelques-unes de celles qui l'avaient précédée: après avoir obtenu de Jean de Bavière, élu de Liège, l'approbation de sa nomination (16 décembre), elle s'adressa à l'empereur Sigismond pour obtenir ses régales, et fut en effet déclarée princesse de l'empire, le 6 février 1418. Cette démarche provoqua la saisie de tous les biens, hauteurs et juridictions qui lui appartenaient en Brabant, saisie dont elle n'obtint, à la fin de l'année, que la révocation provisoire, en attendant la décision du duc.
En l'année 1420, les rentiers, les dix, les maîtres des métiers de l'année 1419, et ceux qui devaient les remplacer en 1420-1421, déclarèrent inhabiles à occuper un emploi communal ou les fonctions de maître d'un métier, ceux qui habitaient clans une maison franche, c'est-à-dire non sujette à l'impôt, ou qui étaient au service de l'abbesse et du chapitre.
Nivelles avait été, en 1415, du nombre des sept villes auxquelles les trois Etats de Brabant: le clergé, la noblesse et les villes, confièrent le choix des tuteurs du jeune duc Jean IV. En 1420, elle participa à toutes les mesures que la majeure partie de la même assemblée prit contre ce prince et ses ministres. Ses députés approuvèrent la sentence qui fut prononcée contre ceux-ci, au mois d'août, puis assistèrent, le 26 novembre, dans la grande salle de l'hôtel de ville de Bruxelles, à la séance solennelle dans laquelle les Etats s'emparèrent du gouvernement du duché, et le confièrent au frère de Jean IV, Philippe de Saint-Pol, définitivement proclamé ruward ou régent du duché.
Un bourgeois, nommé Jean le Barbier, ayant, à cette époque, été pris par ordre du bailli « pour cas incivil », et conduit au château de Genappe, ses concitoyens le réclamèrent et parvinrent à obtenir qu'il leur fût remis.
L'abbesse, le chapitre et même les curés étaient alors en dissentiment avec la ville. C'est ce qui résulte du procès-verbal de la réunion qu'eurent au couvent des Frères mineurs, le 9 juillet 1421, les rentiers, échevins, dix jurés, maîtres des métiers, bourgeois et toute la commune. Après qu'on veut entendu un exposé des torts que le chapitre et les curés causaient à la ville et de ce qui s'était dit à une assemblée tenue à Anvers, en présence d'un cardinal, du prévôt et des membres du chapitre, les maîtres des métiers, par l'organe de Jean Piercot, déclarèrent à l'avance approuver toutes les mesures que prendraient les rentiers, échevins et jurés. Le prévôt du chapitre, Michel Del Kelle ou Vanderkelen le jeune, maire de Nivelles, et Jean Dou Bos, seigneur de Bois-Seigneur-Isaac, avaient produit en justice un rôle contenant l'énumération des griefs de l'abbesse ; Jean Piercot, parlant de nouveau au nom des métiers, manifesta la ferme volonté de maintenir les privilèges communaux et reconnut aux rentiers le droit de punir ceux qui y contreviendraient.
En mars 1422-1423, le samedi après la fête de l'Annonciation, le bailli et Henri de Ranst furent envoyés par le duc Jean IV à Nivelles, où l'abbatialité était devenue vaccante par la mort d'Isabelle de Frankenberch. Le bailli y retourna le mardi avant Pâques pour assister à l'élection d'une nouvelle abbesse. On appela à ces fonctions Christine, la sœur d'Isabelle, comme pour donner un nouveau témoignage d'adhésion à la conduite de cette dame, et Christine, à l'exemple de sa sœur, demanda à l'empereur la ratification de sa nomination.
La lutte du chapitre et de la commune se ralluma plus vive que jamais. L'abbesse réclama le droit d'hériter des bâtards, soutenant qu'ils étaient inhabiles à tester ; elle prétendit pouvoir accorder grâce ; elle dénia à la ville le droit d'emprisonner des bourgeois ou habitants et de les condamner à des pèlerinages. Elle se plaignit que la ville eût mis arrêt sur la part qui lui revenait dans le produit du droit de louche, et défendu au clergé d'acquérir des biens, sinon avec la faculté, pour les laïques, d'en effectuer le rachat en payant un prix équivalant à 20 fois le revenu Bientôt ces débats s'envenimèrent : l'abbesse, ayant accordé sa grâce à Colart de Brancquenies, les jurés, qui l'avaient condamné, le firent garder par des archers ; le maire, Hubert Pillereyn, ayant voulu percevoir le droit de louche, par ordre et au nom de l'abbesse, fut tué par un nommé Jean Erbaut.
L'abbesse, ne pouvant trouver d'appui dans le duc, qu'elle avait mécontenté, se rendit au concile de Bâle, dans l'espoir d'en obtenir une déclaration favorable à ses prétentions ; elle essaya d'attraire la ville devant l'empereur, mais l'autorité de ce dernier était presque impuissante en Belgique. Ces démarches n'aboutirent pas. Une nouvelle décision, prise le jour de la Saint-Martin, en 1429, par les rentiers, dix jurés, maîtres des métiers, et commune, réunis aux Frères mineurs, nous les montre de nouveau comme repoussant tout autre seigneur que le duc, et comme résolus à n'accepter l'autorité de l'abbesse que lorsqu'elle cesserait de méconnaître les privilèges que la commune devait au pouvoir ducal. Il fut déclaré en outre que tout bourgeois qui soutiendrait un seigneur ou une dame ayant une contestation avec la ville, ne recevrait aucune aide de celle-ci.
Les Nivellois ne s'arrêtèrent pas dans cette voie : ils créèrent pour diriger leur commune des bourgmestres, ou plutôt donnèrent ce nom aux vrais chefs de leur communauté, les rentiers ou receveurs. En effet, une ordonnance du 18 janvier 1435, prescrivant quelques mesures d'économie dans les dépenses ordinaires de la ville, émane du maire, des échevins, des bourgmestres et rentiers et des dix jurés. En vertu d'une ancienne coutume, le clergé et la population conduisaient en procession tous les ans, le jour de Saint-Michel, le corps de Sainte-Gertrude, et ce jour-là était un jour de franchise illimitée. En 1436, un gentilhomme qui accompagnait dévotement la procession, fut arrêté par ordre du magistrat ; le chapitre l'ayant réclamé, en alléguant les immunités de la fête, et refusant de persister à marcher, les chefs de la commune soulevèrent la population, qui maltraita le clergé, s'empara de la châsse de la sainte et continua la procession. Vainement le chapitre demanda satisfaction ; il ne put rien obtenir. De même les requêtes que maître Pierre Marchant présenta au conseil de Brabant au nom de l'abbesse Marguerite d'Escornaix, n'aboutirent pas. Dans ces documents, on représente les bourgeois comme attentant constamment à l'autorité abbatiale : Ils nommaient des rentiers ou receveurs, seize maîtres des métiers, un greffier ou secrétaire, un clerc ou employé, plusieurs serviteurs; ils excluaient les échevins de toute participation au gouvernement de la ville, dont les clés étaient confiées aux rentiers: ils s'assemblaient, à leur gré, aux Frères mineurs, publiaient des statuts, agissaient enfin comme s'ils eussent été les seuls maîtres dans Nivelles.
A cette époque survinrent, entre le duc de Brabant, le chapitre et la ville, d'une part, et Engelbert d'Enghien, sire de Tubise, quelques difficultés relatives à la juridiction que ce seigneur exerçait dans ce village, concurremment avec le chapitre. Engelbert réclamait en outre l'argent qu'il avait dépensé lors de la guerre contre le Hainaut, en 1424 et 1425. Un traité conclu entre lui et le duc Philippe de Saint-Pol, et signé à Louvain, le 20 juillet 1430, lui alloua, de ce dernier chef, 8,000 couronnes ; mais, au préalable, il y eut quelques hostilités, et il fallut placer des troupes et notamment des archers ou tireurs à gages des serments de Louvain et de Bruxelles dans Nivelles, pour la protéger contre les attaques des vassaux d'Engelbert, ce qui coûta encore au Brabant 1627 couronnes. D'autre part, les différends au sujet de la juridiction de Tubise se terminèrent quelques années après au désavantage d'Engelbert.
Nous avons vu plus haut que les archives ducales avaient été en partie déposées dans l'église de Sainte-Gertrude. Cette disposition fut modifiée en 1430. La Joyeuse-Entrée du duc Philippe de Bourgogne, qui, dans son article 52, prescrit de conserver au Brabant la ville de Nivelles, ordonne que toutes les chartes du pays, tant celles que l'on gardait à Nivelles qu'ailleurs, seraient réunies à Anvers, pour y former un seul dépôt. C'est à la suite de cette décision que survint l'événement suivant, auquel les chroniques de Nivelles ont donné une couleur exagérée.
« Du depuis, y est-il dit, par une dédicace ou feste de Nivelles, estant toute l'église en la dicte ville empeschée et occupée à la procession dehors, conduisant le corps madame sainte Gertrude, lesdits de Bruxelles vindrent avec ferrerieurs rompre les serrures (comme il est encore manifeste), par violence et force, et enlevèrent et emportèrent les dicts privilèges qui sont pour le présent à Vilvorde ».
En 1430-1436, un échevin nommé Jean Maissette, ayant été accusé d'avoir entretenu un commerce coupable avec la sœur de sa femme, fut destitué et condamné à ne pouvoir plus, ni occuper une fonction, ni témoigner en justice. Il aurait encouru une peine plus forte s'il n'avait acheté sa sécurité, en payant 72 clinckaerts au drossard ou sénéchal de Brabant, au profit du trésor ducal.
L'abbesse Christine n'ayant pas encore relevé du duc ses régales, le bailli arriva à Nivelles, au mois de juin 1432, accompagné de quatre hommes de fief et d'autres cavaliers, et mit sous séquestre les biens de l'abbesse. Celle-ci obtint du conseil de Brabant main levée de cette saisie (lettres datées de Bruxelles, le 24 juin 1432), saisie qui fut décidée de nouveau le 2 septembre suivant. Le bailli revint à Nivelles pour créer, au nom du duc, des officiers : un maire, des échevins un receveur, un clerc etc. ; mais il eut beaucoup de peine à trouver des candidats ; les Nivellois, avec beaucoup de raison, supposaient que le duc et l'abbesse se réconcilieraient facilement et que les personnes qui consentiraient à servir celui-là seraient ensuite abandonnés sans appui à la vengeance de celle-ci. Le bailli ne put compléter la nouvelle magistrature qu'en y adjoignant quelques personnes de sa suite. Et en effet, le 13 du même mois, la saisie fut derechef annulée, et le conseil de Brabant ajourna toute décision jusqu'à la Noël suivante, afin de pouvoir examiner les pièces du procès et prendre des informations plus précises. Le 8 juillet 1435, Jean de Huldenberg accomplit enfin la cérémonie du relief des régales, au nom de l'abbesse, à qui on voulut faire payer un marc d'or, mais les hommes de fief de Brabant, semoncés par le stadhouder de la cour féodale, ne l'imposèrent qu’à dix couronnes.
En 1433, l'abbesse de Nivelles ayant nommé échevins deux habitants, Colart Martinal, bourgeois de Louvain, et Baudouin de Four, bourgeois de Bruxelles, les Nivellois refusèrent de les reconnaître, à moins qu'ils ne renonçassent à leur affiliation à la bourgeoisie de ces villes, et ils obtinrent de leur dame le remplacement de ces magistrats. Par la même raison ils firent aussi annuler l'élection d'un autre bourgeois de Bruxelles, Pyraet ou Pierre Hebbe, qui avait été nommé juré de son métier. Informées de cette affaire, les deux villes s'adressèrent au chancelier de Brabant pour revendiquer le maintien de leurs droits, en disant qu'elles n'admettraient pas une pareille prétention pour mille philippus. Elles obtinrent, en effet, le 14 juin 1434, un arrêt interlocutoire qui consacra leurs prérogatives de chefs-villes, et les autorisa à poursuivre Nivelles en dommages et intérêts.
L'année suivante, des bourgeois de Bruxelles ayant été arrêtés dans la même ville, le magistrat de la capitale, auquel se joignit celui de Louvain, fit prier le maire de Nivelles de les mettre en liberté sous caution. Celui-ci était disposé accéder à cette demande, lorsqu'un des rentiers, Henri de Willenbroeck, non seulement déclara s'y opposer, mais refusa d'entendre lecture des lettres des deux villes, jeta à terre les copies qui lui avaient été adressées, accabla le maire de menaces et défendit au sergent d'obéir à cet officier. Dès qu'elle eut connaissance de ces outrages, Bruxelles condamna l'audacieux rentier à deux pèlerinages, l'un à Rome, et l'autre à Saint-Jacques de Compostelle, rachetables chacun par vingt florins du Rhin au profit des deux chefs-villes insultées, à deux années de bannissement du pays, et à dix années d'exclusion de toutes fonctions publiques (26 mai 1435). Willenbroeck ne s'étant pas soumis à cette condamnation et continuant à se montrer publiquement à Nivelles, il fut sommé, le 12 juin, d'obéir dans les huit jours, sous peine de bannissement perpétuel, et, comme il n'obtempéra pas encore à cette sommation, le 23, il lui fut ordonné de partir dans les vingt-quatre heures, sous peine de mort. Il n'est plus fait mention de ce rentier dans les actes postérieurs, et l'on doit supposer qu'il ne poussa pas plus loin la résistance.
Peu de temps après, Bruxelles et Nivelles eurent un autre différend. Henri Moustarde, Jean del Tourna, Jean de Traiseingniez, Jean le Massart, Arnoul del Rue, Franc des Preis, Pierrart le Bruns, Godefroid de Stoysis, Hubert Bande, Colard Remy, Hubert Poillondor et Pierrart Bouda, ayant fait constater par les échevins de Nivelles nommés à la Saint-Jean 1438, qu'ils n'avaient aucune franchise (ou bourgeoisie) autre que celle de cette ville, la commune bruxelloise les condamna, le 23 juin 1439, à un pèlerinage à Bâle, comme coupables d'attentat à ses droits ainsi qu'à ceux du duc et de ia ville de Louvain. Il leur fut enjoint de partir dans les quarante jours ou de payer une amende de six florins. Cet ordre fut immédiatement exécuté.
Une réconciliation, au moins momentanée, des trois pouvoirs qui régissaient Nivelles se manifesta par quelques décisions importantes. Le 24 décembre 1438 parut une charte ducale, destinée à améliorer l'administration de la justice. On essaya surtout d'y « mesurer » ou proportionner aux délits les amendes ou peines pécuniaires. Chaque fois, y est-il dit, qu'on aura à procéder à quelque information au sujet de ces amendes, ce soin incombera au maire de l'abbesse, et, « afin de garder, comme de raison le droit d'un chacun, un notable homme qui bon semblera a monseigneur le duc » sera appelé à assister à ces informations, et la ville pourra également en envoyer un autre.
Le peu d'élévation du taux des amendes ayant pour résultat d'encourager les malfaiteurs, on le modifia de telle sorte qu'en remplacement d'une maille on paya 8 vieux gros de Brabant. Le grand dîner, qui se donna chaque fois qu'il y avait une exécution capitale, fut supprimé et remplacé par la distribution d'une gelte de vin à chacun des juges, sauf que le maire recevait deux geltes. Enfin, on étendit la nouvelle tarification des amendes à toutes les seigneuries comprises dans le bailliage de Nivelles ou tenues en fief de l'abbesse. Par une charte particulière, du même jour, injonction fut faite déjuger promptement les débiteurs emprisonnés.
Le 7 octobre 1440, le conseil de Brabant régla le mode d'après lequel on procéderait dorénavant aux ventes d'héritages qui étaient possédés par le chapitre ou ses suppôts:
— Tous les héritages qui avaient été acquis par eux et à propos desquels on avait minuté un chirographe suivraient les conditions établies dans cet acte.
— Si le chirographe constatait qu'un laïque et homme de loi n'en était pas investi, on pouvait s'en servir sans devoir lever une lettre de loi (c'est-à-dire, sans doute, une lettre échevinale).
— Plus tard, si le chapitre voulait aliéner un bien de l'espèce, il pouvait le faire sans l’intervention d'homme lay (ou laïque) et de loi.
— Le chapitre fut autorisé à acheter ou à vendre des biens, sans l'intervention d'homme de loi, à la condition que si, à propos de ces biens, il s'élevait un procès par devant le maire et les échevins, le chapitre et ses suppôts seraient tenus, quand la partie adverse l'exigerait, de faire garantir par des laïques qu'ils comparaîtraient en justice et se soumettraient au jugement prononcé.
— Tout suppôt du chapitre, attrait en justice par un laïque, devait, au besoin, fournir la même garantie.
— Ces suppôts étaient libres d'impôts pour leurs personnes, pour les biens qui étaient de fondation, pour les habitations où ils demeuraient et pour tout autre bien amorti, c'est-à-dire acquis par le chapitre avec le consentement du souverain.
— Enfin le chapitre et chacune de ses fractions étaient exempts pour les biens acquis par eux, mais cette franchise ne s'étendait pas aux acquisitions faites par les chanoines, en leur propre nom.
La question des impôts fut terminée par une sentence datée du 8 août 1450 : le chapitre fut reconnu en droit de faire entrer en ville, en franchise d'assises, et de faire vendre à tous venants, les vins provenant de dépendances de l'héritage de Sainte-Gertrude, à la condition qu'il n'achèterait pas de nouvelles vignes et qu'il n'en planterait pas là où il n'y en avait plus existé depuis 40 ans. Les membres du chapitre, en leur particulier, pouvaient acheter et encaver librement du vin, mais non le revendre, ni en boire qu'avec leurs domestiques ou des étrangers.
A la mort de l'abbesse Christine, le chapitre poussa l'audace jusqu'à décider que la nouvelle abbesse devrait relever ses régales du roi des Romains. Marguerite d'Escornaix, après a voir été élevée à ces fonctions et avoir reçu de l'évêque de Liège la confirmation de sa nomination, jura l'observation de ce statut. Mais le duc Philippe de Bourgogne n'était pas un de ces princes dont on peut impunément se jouer, Marguerite reçut une sommation de relever de lui ses régales et une défense formelle de prendre possession de son domaine temporel. L'abbesse essaya de s'excuser ; elle demanda un délai, en alléguant l'absence du duc, qui guerroyait alors dans le Luxembourg, « qui est bien loingtain du pays de Brabant », et l'approche de la fête de la patronne de la ville ; ces considérations furent accueillies par la duchesse Isabelle de Portugal, qui, le 26 septembre 1443, autorisa Marguerite à se faire recevoir en qualité de dame de Nivelles, à la condition qu'elle relèverait ses régales dans le courant du mois qui suivrait le retour de son mari. Dans l'entretemps, le conseil de Brabant, après avoir fait visiter par ses commissaires un livre que le chapitre déclara « estre son ordinaire », lui enjoignit d'annuler le statut dont nous venons de parler (8 novembre 1443), ce qui fut accompli le 16 du mois suivant. Le chapitre « cassa et annula le statut, en tous les points, pour être et demeurer à toujours comme non-avenu, et en arrêta un nouveau, enjoignant à toute abbesse qui serait dorénavant élue, de relever ses régales du duc de Brabant, et au chapitre de la recevoir de cette manière, nonobstant tout décret papal ou impérial qui y serait contraire ».
Ce nouveau statut fut enregistré dans le cartulaire du chapitre et scellé de son sceau, et deux mois après, Philippe-le-Bon reçut l'hommage de l'abbesse. Depuis, les dames qui succédèrent à Marguerite trouvèrent trop dure la leçon qui lui avait été infligée et ne se permirent plus d'incartades pareilles à la sienne. En 1443 et 1444, le Brabant wallon fut menacé de la visite des Ecorcheurs, bandes d'aventuriers formées de la lie des armées qui avaient combattu en France pendant les trente dernières années et d'une foule de vagabonds et de misérables. Le 4 juillet 1443, le bailli du Hainaut annonça leur approche au conseil de Brabant, et, quelque temps après, pria le bailli de Nivelles de venir à son aide ; mais cet officier reçut du conseil l'ordre de se borner à garder les frontières brabançonnes. Pendant près de 2 mois, il tint sur pied un grand nombre d'hommes armés, qui furent entretenus aux frais des habitants du pays ; puis, en vertu d'un ordre en date du 26 mai 1445, il réunit la chevalerie, les vassaux et les officiers de son bailliage, ainsi que le plus grand nombre possible de crenekineurs ou arbalétriers, et il marcha vers le Namurois afin d'y faire sa jonction avec le sénéchal de Brabant et le seigneur de Croy. Son expédition dura environ six semaines.
En 1450 ou 1451, il se passa à Nivelles une scène qui peint les mœurs du temps. Gilles Moriaus et Jean Raghon de Liège s'y comportèrent d'une manière inconvenante dans les étuves ou bains publics, où ils entrèrent tout aimés, « en le plache où les bourgeois et bonnes gens de la ville estuvoient (ou se baignaient) et estoient nus, sans dire mot mais en faisant aucunes dérisions ». Ils furent condamnés chacun à se rendre en pèlerinage à Roquemadour, ce qu'ils accomplirent en personne. La guerre de Philippe de Bourgogne contre les Gantois eut quelque retentissement à Nivelles, car, en cette année, les magistrats de cette ville prirent des mesures énergiques pour la préserver d'une attaque. Le 1er mai, les rentiers et les jurés, de l'avis de leurs collègues de l'année précédente et de plusieurs membres de chaque métier, défendirent à toute personne du dehors, si elle n'était du nombre des guetteurs ou autres commis par eux, de se trouver sur les portes, tours et murailles. Le 9, ordre fut donné aux chefs d'hôtel ou chefs de ménage de monter la garde, soit par eux-mêmes, soit par un remplaçant ayant habité Nivelles au moins pendant un an et un jour ; en même temps, les jurés convinrent qu'ils veilleraient tour à tour à la sûreté commune. Le 20 juin, on interdit aux étrangers, sous peine de 3 ridders, de circuler en armes dans le territoire de Nivelles et d'aller en ville, sans lumière, après 10 heures ; celte dernière interdiction fut alors renouvelée pour les bourgeois.
En l'année 1456, Philippe de Bourgogne guerroya dans l'évêché d'Utrecht. Le receveur du domaine de Nivelles, Antoine Levisse, ayant pris les armes en cette occasion, se fit, avec l'autorisation du souverain, remplacer par Jean Piercot.
Deux ans après qu'Agnès de Frankenberch eut remplacé Marguerite d'Escornaix, le bailli de Nivelles, accompagné de quatre cavaliers, parcourut tout le Brabant wallon, en vertu d'un ordre daté du 10 avril 1464, pour opérer le recensement des feux et maisons habitées, maisons inhabitées, maisons «spirituelles» ou séculières. Après avoir employé huit jours à ce travail, pour lequel il lui fut alloué 4 écus par jour, il se rendit à Bruxelles pour y comparer ses calculs avec ceux des autres officiers du duché.
A cette époque et jusqu'à la fin du XVe siècle, les petites villes envoyaient encore des députés aux Etats de Brabant ; ce ne fut que plus tard et non sans quelques réclamations de leur part, que cette prérogative leur fut enlevée.
Des doctrines hétérodoxes commencèrent vers ce temps à se répandre dans Nivelles et les environs. En l'année 1459-1460 une nommée Aélis ou Alice, que l'on accusait d'être vaudoise, fut livrée par les juges de la seigneurie de Neuve-Rue aux échevins de l'abbesse. Elle avoua, dit-on, « certaines œuvres diaboliques », comme, par exemple, d'avoir fait ardre ou brûler une maison et livré quelques-uns de ses membres ». Quoi qu’elle niât ensuite ce qu'elle avait confessé, et que la torture fût impuissante à lui arracher de nouveaux aveux, on la bannit de tous les pays de la domination du duc de Bourgogne. En l'année 1471, suivant une Chronique de Bruxelles, une nouvelle croyance se répandit à Nivelles parmi les hommes instruits, dont quelques-uns furent emprisonnés et punis. Trithême place vers l'année 1495 l'origine de cette hérésie, contre laquelle un carme, docteur de l'université de Paris, l’évêque de Darien, Hubert Léonard, écrivit un traité divisé en 28 chapitres.
En 1474, la possession de l'abbatialité fut disputée par Marguerite de Langastre et Guillemine de Frankenberch. Maximilien d'Autriche ayant été invité, en 1477, à prononcer entre ces dames, soumit leur différend à des commissaires, qui se prononcèrent en faveur de Marguerite.
En 1485, il régnait si peu de sécurité aux environs de Nivelles, « à cause de aucuns foullars et aulres mal-ci veillants assemblés » de ce côté, que le chancelier de Brabant et le seigneur de Beersel, après avoir assisté aux obsèques du sire de Rameru, dont ils étaient les exécuteurs testamentaires, furent obligés de se faire accompagner par quelques gens de guerre. La ville intervint, deux ans après, dans les conférences qui s'ouvrirent pour la délivrance du roi Maximilien, alors prisonnier des Brugeois ; mais elle ne tarda pas à se ranger parmi les ennemis de ce prince. Lorsque Philippe de Clèves, sire de Ravestein, qui s'était mis à la tête des Flamands insurgés, fut reçu dans Bruxelles et dans Louvain, Nivelles, ainsi que la plus grande partie du Brabant, suivit l'exemple de ces villes, et coopérèrent aux attaques qu’elles dirigèrent contre les châteaux des partisans de Maximilien: Bornival, Facuwez, Askempont, Braine-l'Alleu, La Folie (sur Ecaussines) etc. La bourgeoisie nivelloise fut renforcée par des soldats français, qui pillèrent toutes les campagnes environnantes. Pour se mettre à l'abri de leurs vexations et de celles des défenseurs du parti opposé, les paysans réfugièrent tant de bétail en ville que bientôt il s'y vendit à vil prix : une vache ne coûtait que trois ou quatre sous, abondance fatale, qui fit bientôt place à un renchérissement énorme de toutes les denrées alimentaires. Ne trouvant plus de locataires pour leurs biens, les ecclésiastiques se virent réduits à les donner, en grande partie, en emphytéose, pour un terme de cent ans; dans la suite, ayant négligé de conserver leurs titres, ils perdirent un grand nombre de possessions, dont ils ne purent réclamer la propriété.
Les nobles, et, plus lard, toute la province de Hainaut, soutenant Maximilien, les Nivellois et la garnison française de leur ville exercèrent des actes d'hostilité sur le territoire hennuyer. Ils dirigèrent notamment une attaque contre le Rœulx. Ces attaques et celles des Bruxellois contre Hal appelèrent de ce côté l'attention des généraux ennemis: Albert, duc de Saxe, et le prince de Chimai. Celui-ci invita les villes du Hainaut à lui fournir des troupes, de l'argent et de la poudre, ce qu'elles promirent de donner si on assiégeait la ville de Nivelles.
Mais cette entreprise ne fut pas tentée, les deux généraux n'ayant pas de forces suffisantes et leur attention ayant été appelée ailleurs ; le prince se borna à reprendre les forteresses voisines de Nivelles, afin de resserrer cette ville, tout en arrêtant les courses de sa garnison dans le Hainaut. Les châteaux d'Heetvelde, de Rebecq, de Bornival, de Genappe furent successivement emportés ; les Nivellois, de leur côté, se vengèrent des secours que les Montois avaient fourni au seigneur de Chimai, en incendiant les hameaux et les fermes qui leur appartenaient. Malgré les succès du parti contraire, ils ne cédèrent qu'en même temps que Bruxelles ; ces deux villes se réconcilièrent avec Maximilien en lui payant 200,000 florins (août 1589).
On trouve dans les anciens Comptes des maires de Nivelles des traces curieuses de l'irritation que ces événements avaient jetée dans les esprits. A cette époque, il était très dangereux de parler trop librement ; l'outragé s'empressait de recourir aux tribunaux pour obtenir vengeance d'une insulte. Plusieurs jugements punirent des paroles injurieuses adressées aux Nivellois, principalement à cause de leur conduite politique. En 1490-1491, on condamna à un voyage à l'Ile de Chypre (rachetable moyennant 1,620 placques) et à une rétractation dans les quatorze jours, Colart ou Nicolas Dau de Goy (ou Gouy), « pour ses déraisonnables et abominables langages dits et proférés sur les bourgeois et bourgeoises de Nivelles, si comme de les avoir nommés tous faux et traîtres à leurs seigneurs le roi des Romains et monseigneur l'archiduc son fils, et que les femmes de Nivelles étoient toutes ribaudes, et que les Français les avoient toutes chevauchées ».
L'année suivante, la même accusation de trahison fut imputée aux Nivellois par un nommé Simon Stassart, qui, outre une rétractation immédiate, dut faire un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, pour lequel il partit immédiatement, après avoir pris, suivant l'usage, l'écharpe et le bourdon.
Ces colères individuelles se justifiaient jusqu'à un certain point par l'état déplorable du pays. La ville était obérée, les campagnes, déjà appauvries et dépeuplées, se voyaient livrées sans défense aux soldats de Maximilien; tout le pays souffrit cruellement d'une peste terrible, qui y sévit pendant deux années, et de la famine que l'abandon momentané, mais presque général, des villages et des champs, amena nécessairement à sa suite. Pendant le second semestre de l'année 1498, le Brabant wallon était encore infesté de gens d'armes allemands et wallons, cavaliers et piétons. Le bailli, accompagné de son écuyer, Jacques de Castre, et de dix autres cavaliers, se rendit successivement à Nivelles, à Genappe, à Jodoigne etc., et, au bout de 12 jours, parvint à faire partir de son ressort ces hôtes importuns. Le pays était alors surchargé de dettes: un octroi en date du 2 juillet 1495 permit aux habitants du Brabant wallon de convoquer leurs créanciers, afin d'obtenir d'eux la remise d'une partie de ce qui leur était dû.
La ville, ayant besoin de ressources extraordinaires pour satisfaire à ses dépenses et à ses obligations de toute nature, sollicita de l'archiduc Philippe le Beau, fils de Maximilien, l'autorisation de lever une imposition extraordinaire, une taxe par tête sur tous les habitants, sans distinction de rang et de profession. L'abbesse Isabelle de Herzelles saisit cette occasion pour contester à la commune le droit de répartir et de percevoir le nouvel impôt. Dans une remontrance qu'elle présenta au conseil de Brabant, elle réclama le droit d'accorder au magistrat l'autorisation qui était nécessaire à cet effet, et la suspension de l'octroi qui lui avait été concédé au nom du prince. La ville persistant dans ses demandes, l'abbesse soutint que, dans ce cas, le clergé ne pouvait être tenu à payer sa part dans les impôts proposés, et le conseil de Brabant lui donna gain de cause. L'autorisation accordée à la ville fut maintenue, mais à la condition que l'impôt serait réparti par tous les magistrats, tant la loi (c'est-à-dire l’échevinage) que les rentiers et jurés, sauf le maire, qui ne pourrait coopérer à ce travail, et qui, d'un autre côté, serait chargé du recouvrement de l'impôt. Le clergé fut reconnu exempt, et le conseil fit connaître à l'abbesse qu'elle pouvait s'adresser à lui, si elle entendait soutenir qu'à elle, et non au souverain, appartenait le droit de donner des privilèges ou des règlements à la ville (31 octobre 1500). Pendant de longues années, pour venir en aide aux finances de la ville, la chambre des comptes lui accorda la remise d'une moitié de sa cote dans l'aide. Cette réduction lui fut encore octroyée le 12 mai 1531 ; le 3 juillet 1537, on la réduisit au quart de la cote.
Un autre conflit s'éleva, à la même époque, entre le bailli Paul Ooghe et le maire de Nivelles. Un jeune homme, ayant été tué dans cette ville par trois personnes, l'une de celles-ci, du consentement du bailli, vint à Nivelles, mais, comme elle n'avait ni payé une composition à l'abbesse, ni satisfait les parents de la victime, le maire procéda, en plein jour, à son arrestation, sur le marché, le 1er août 1502, et l'aurait fait exécuter, si le bailli ne s'y était opposé, armé de lettres obtenues du chancelier de Brabant. Ooghe, en même temps, réussit à faire défendre au maire d’étendre sa juridiction sur quelques maisons voisines du marché et qui dépendaient, sans doute, du fief de Rognon. Le maire, en soutenant ses droits, dépensa de l'argent dont il réclama la restitution en présentant le compte de sa gestion à la fin de l'année ; mais la chambre des comptes la lui refusa, ces frais ayant été provoqués par une contestation soutenue au préjudice des prérogatives du souverain.
Il se manifesta alors une tendance générale à renforcer l'action et l'influence du pouvoir central au détriment des juridictions particulières ou locales. Le gouvernement profita des embarras de tout genre qui assiégeaient la commune pour obtenir une part d'intervention dans l'élection des rentiers et des jurés de Nivelles, qui jusque-là s'était accomplie librement. En 1509, à la suite d'un record, c'est-à-dire d'une déclaration des anciens jurés ou jurés sortants et d'autres « gens de bien et officiers », il fut reconnu que c'était aux commissaires du prince à établir dorénavant ces magistrats.
L'année suivante, le procureur général du duc en Brabant remontra au conseil que l'abbesse de Nivelles, sans cause raisonnable, molestait les « bourgmestres, rentiers et jurés », sous prétexte que c'était elle qui les avait chargés de l'administration de la justice, tandis qu'ils tenaient ce mandat du souverain lui-même, en vertu d'un ordre exprès qui leur avait été transmis. Au mépris de cet ordre, l'abbesse avait ordonné de procéder contre eux. Un décret émané de l'archiduc Charles (depuis l'empereur Charles-Quint) ou, en réalité, de sa tante Marguerite d'Autriche, qui gouvernait les Pays-Bas en son nom, notifia à l'abbesse que ce prince entendait maintenir intacte son autorité, et lui interdit de continuer la procédure entamée, en ajoutant que si elle avait quelque réclamation à élever, elle pouvait s'adresser au conseil de Brabant (21 juillet 1510).
En 1506, le document où nous puisons ce détail dit à tort en 1406), l'archiduc Philippe, ayant ordonné la translation à Nivelles de la cour de Lothier, déclara que cela ne causerait aucun préjudice à la juridiction locale. Ce changement paraît n'avoir été que momentané, car la cour conserva l'habitude de siéger, comme elle le faisait antérieurement, au château de Genappe ou au village de Vieux-Genappe.
En 1515, lorsque Charles d'Autriche, roi de Castille, fut reçu en qualité de duc de Brabant, le grand bailli, Adrien d'Orley, ayant porté devant le jeune monarque sa verge de justice, qu'il suspendit ensuite à une fenêtre de la maison échevinale, l'abbesse considéra ce fait comme une atteinte portée à ses droits et obtint, à cette occasion, des lettres de non-préjudice.
Ce faible succès ne tarda pas à être chèrement payé. Isabelle de Herzelles vivait encore qu'on fit au chapitre une singulière proposition au nom de la régente, Marguerite d'Autriche. Fatiguée sans doute des démêlés continuels auxquels donnait lieu l'exercice de la juridiction à Nivelles, cette princesse demanda qu'à la première vacature du siège abbatial le roi fût investi de cette dignité et mis en possession du pouvoir temporel dans Nivelles, sauf que les revenus de l'abbatialité seraient réunis en entier, non au domaine, mais au patrimoine du chapitre ; le roi se chargeait de faire approuver par le pape cet arrangement, qui provoqua de grands dissentiments au sein du chapitre. L'abbesse, qui y avait peut-être adhéré secrètement, était à peine morte depuis deux jours, qu'on sollicita individuellement le consentement des chanoines et chanoinesses. L'université de Louvain, consultée par eux, ayant condamné une pareille mesure, qui entraînerait l'extinction d'un membre, d'une fraction du chapitre, cette opinion fut acceptée par ce dernier.
Lorsque le baron de Trazegnies, le chancelier du Brabant, le greffier de l'ordre de la Toison d'or, Laurent du Blioul, se rendirent pour cette affaire à Nivelles, le 27 janvier 1520, au nom de Marguerite d'Autriche, ils ne reçurent pas d'autre réponse des délégués du chapitre, les chanoines maître Jean du Trilz et Richard de Neuse, et le secrétaire. Les commissaires se montrèrent fort ébahis, prétendirent qu'on n'avait pour but que d'établir dans le chapitre une union plus étroite, et insistèrent pour que la nomination du maire, des échevins, du greffier, appartînt désormais au roi. Leur nouvelle démarche n'ayant pas abouti davantage, ils revinrent le lendemain, 29, annoncer au chapitre que la régente trouvait sa réponse fort étrange ; toutefois ils se bornèrent à revendiquer de nouveau pour le souverain l'institution du maire et des échevins, sauf que ces officiers prêteraient serment à l'abbesse. N'ayant pas réussi à obtenir cette concession, ils produisirent un induit du pape qui attribuait au souverain de nos contrées le choix de tous les chefs des corporations religieuses, et ils intimèrent au chapitre l'ordre d'élire Marguerite d'Esne. Les chanoines et les chanoinesses réclamèrent vainement le droit de se donner à leur gré une supérieure, en promettant de donner leurs voix à Marguerite, les commissaires refusèrent durement, en ajoutant que : « quand bien même ils seraient certains de l'élection de cette dame, ils ne voulaient pas qu'elle devînt abbesse autrement qu'en vertu de l'induit du pape ». Marguerite fut désignée sans opposition, et immédiatement installée. Si le projet d'annexer l'abbatialité de Nivelles au duché de Brabant, comme celle de Sainte-Waudru l'était, depuis des siècles, au comté de Hainaut, ne put réussir, le chapitre ne conserva plus qu'un droit apparent à la nomination de l'abbesse ; depuis, il n'eut plus qu'à ratifier un acte émanant du souverain seul, qu'à procédera un simulacre d'élection.
Les magistrats de Nivelles ayant allégué qu'ils avaient à juger de toutes les causes en matière de tailles et d'aides au quartier de Nivelles, et de tout ce qui concernait les assises et la police de la ville, le conseil de Brabant leur permit, le 1er mai 1532, de se faire graver un sceau aux anciennes armes de Nivelles (d'argent à une crosse de gueules), chargées de l'écu de Brabant (de sable au lion d'or), avec la légende : SIGILLUM RECEPTORUM ET JURATORUM DUCIS BRABANTIAE IN SUO OPPIDO NIVELLENSI (sceau des bourgmestres et jurés du duc de Brabant en sa ville de Nivelles). Ils s'empressèrent de faire peindre ces armoiries sur la façade de la maison de ville, au-dessus de l'horloge ; sur des verrières, et sur des bannières que l'on portait à la grande procession. L'abbesse Adrienne de Saint-Omer, dite de Moerbeque, présenta requête au conseil de Brabant en protestant contre ces innovations, qu'elle considérait comme attentatoires à ses droits ; elle prétendit qu'il n'y avait pas de bourgmestres à Nivelles ; qu'il n'y existait pas de sceau communal, celui de la ville ayant été détruit par ordre de l'évêque de Liège, que depuis lors les actes dépêchés par les rentiers et les jurés étaient, non pas scellés, mais, de même que dans toutes les villes du Brabant wallon, signés par le pensionnaire. Les députés de la ville, mandés au conseil de Brabant, s'excusèrent eu disant qu'ils n'avaient pas voulu attenter aux droits d'autrui, qu'ils avaient agi en vertu d'un octroi, qu'au surplus, ils s'en remettaient à la volonté de l'empereur. L'abbesse n'était pas précisément dans le vrai lorsqu'elle niait l'existence à Nivelles des bourgmestres et d'un sceau, attendu qu'il y était d'usage de qualifier de bourgmestres les rentiers ou une partie d'entre eux, et que la ville possédait un sceau dont nous avons signalé l'apposition à nombre de documents d'une haute importance. Ces erreurs ne paraissent pas avoir été relevées et ne sont pas signalées par les chroniqueurs. L'abbesse, cependant, consentit à l'octroi d'un sceau, avec l'inscription: SIGILL(u)m RECEP(toru)m ET JURA(toru)m DUCIS BRAB(anti)ae IN SUO OPPIDO NIVELLENSI AD CAUSA (scel aux causes des rentiers et jurés du duc de Brabant en sa ville de Nivelles) ; toutefois, elle réclama le droit de faire la police et elle insista sur l'enlèvement des nouvelles armoiries. Elle obtint gain de cause sur tous ces articles, sauf que la police fut reconnue appartenir aux rentiers et jurés et que l'on maintint, comme parfaitement légaux, les actes qui avaient été scellés du sceau dont la ville avait usé en vertu de l'octroi de 1532 (19 novembre 1534). Cette sentence fut mise à exécution ; Jean de Tournay reçut 35 sous pour avoir ôté les armoiries dont la ville avait orné le gadron (ou horloge).
A cette époque appartiennent plusieurs ordonnances de police, dont quelques-unes ne portent pas de date. Elles témoignent de la variété des objets sur lesquels l'attention des magistrats devait se fixer.
— L'un de ces statuts est dirigé contre ceux qui achètent des marchandises à des jeunes gens de moins de 24 ans, leur fournissent à crédit, les logent ; contre ceux qui ne vont pas à l'office divin ou au sermon, ou empêchent les autres d'y aller.
— Un deuxième, qui émane de l'abbesse, du maire, des bourgmestres, rentiers, jurés et maîtres de métiers, prohibe sévèrement le jeu de dés, défense qui fut étendue aux jeux de cartes, le 17 décembre 1527 et le samedi avant la Noël 1564.
— Un troisième concerne ceux qui vont boire hors la ville, dans un rayon d'une demi-lieue aux alentours, rayon qui, dans l'intérêt des assises, fut étendu, le 7 mai 1539 et le 8 février 1540, à une étendue de deux lieues à l'entour de Nivelles, avec commination contre les contrevenants d'une amende de 6 carolus d'or et d'un emprisonnement de 24 heures, suivi d'un bannissement pendant 40 jours. Un quatrième est relatif aux fyens (fientes) et ordures «qui se faisoient journellement», en prescrit l'enlèvement, et défend d'engraisser à domicile des porcs, qui devaient être mis en la herde «commune», c'est-à-dire confiés au herdier ou porcher commun, qui les conduisait pâturer.
— Un cinquième, du 22 février 1538, punit ceux qui vendent de la boisson dans des pots non jaugés. Quelques ordonnances spéciales réglementèrent la police de la ville pendant les maladies contagieuses, qui devinrent alors fort communes. Les personnes infectées furent assujetties à porter une blanche verge (un bâton blanc), longue d'une aune et demie, et les maisons où il y avait des malades durent être signalées par une « lorquette » d'étain. Au sortir d'une de ces maisons on ne pouvait ni s'approcher d'une des trois fontaines publiques, ni assister à la messe que de 5 heures à 7, et seulement dans les chapelles, les hôpitaux et les couvents, et non à Sainte-Gertrude, à Saint-Paul ou dans une des dix églises paroissiales. La peste de 1534 fut des plus violentes. Le 28 août de cette année, deux délégués de l'abbesse et du chapitre, de commun accord avec le magistrat, proposèrent de transférer les béguines de Gouthal au béguinage de Saint-Cyr ou à l'hôpital de Roblet (sauf à réserver dans ce dernier établissement une chambre pour les confrères de Notre-Dame de Roblet), et de convertir le béguinage supprimé en infirmerie, à l'entretien duquel on affecterait les revenus suivants: les 5 muids de blé dus par les Guillemins aux dix paroisses, les 30 patars dus par les sœurs grises, les 5 muids provenant de Bonterlé, les biens de l'hôpital Turquoy, avec les 2 lits qu'y avaient les pauvres ; les deux lits de l'hôpital de Roblet, et de plus une somme d'argent à payer par l'hôpital Saint-Nicolas, où on ne voulait pas recevoir les malheureux infectés, et par la Suprême charité. L'abbesse ayant refusé son consentement à la suppression du béguinage de Gouthal, ce projet ne se réalisa pas. Un nommé Jacquemart ou Jacques Rose accepta, le même jour, la pénible mission d'assister les malades et d'ensevelir les morts, mission que Bernard le Coureux remplit aussi, pendant 116 jours ; Bernard reçut de ce chef, au mois de décembre, une indemnité de 11 livres 12 sous, à raison de 2 sous par jour. La peste reparut encore à Nivelles, à plusieurs reprises, notamment en 1552, sous le nom « de maladie de blanc et du brun mal, qu'on dit de lèpres », et en novembre 1554. Comme véritables événements, nous avons peu de circonstances à signaler:
En 1528, une somme de 6 livres fut payée par la ville à des capitaines de piétons espagnols, venus avec M. de Rœulx, pour que leurs troupes ne séjournassent pas dans les faubourgs. C'est le premier témoignage connu du peu de sympathie que la population montra toujours pour les logements militaires. Pendant le mois de juillet 1531, on fit trois processions pour la prospérité de l'empereur, qui retourna vers cette époque en Allemagne.
En décembre 1534, la princesse de Danemark et Mme de Fiennes étant venues à Nivelles, la ville leur offrit 12 cannes de vin (valant ensemble 5 livres 9 sous 6 deniers). En 1537, un nommé Eustache Trico dit hautement que les ruffiens (ou libertins) vivaient des femmes, c'est-à-dire à leurs frais, comme les échevins précédents (ou dernièrement sortis de charge) vivaient des hommes de bien ; il fut condamné à rétracter ces paroles injurieuses, à porter un dimanche deux torches de deux livres chacune à l'église Sainte-Gertrude, où il les allumerait et les placerait devant le Saint-Sacrement, et enfin, a partir, dans les quinze jours, pour se rendre en pèlerinage à Saint-Nicolas de Warangeville.
L'entrée de Van Rossem dans le Brabant et des Français dans le Luxembourg jeta dans le pays une grande terreur, en l'année 1542. Le gouvernement réunit immédiatement une armée du côté de la Sambre, et, le 30 août, enjoignit aux paysans habitant à deux lieues à l'entour de la ville, d'y aller travailler à tour de rôle aux fortifications, un jour par mois. L'année suivante, de grandes mesures militaires furent également prises. Tandis que l'empereur Charles, pour résister au roi de France, appelait aux armes toute la population valide, de 20 à 50 ans, chaque ville se préparait à une résistance énergique. Le 6 juillet, le chapitre, le bailli et les trois membres de Nivelles ordonnèrent de sonner de nouveau la cloche pour annoncer l'ouverture et la fermeture des portes de la ville, en interdisant aux gardiens de ces portes de les quitter avant l'arrivée de ceux qui devaient les remplacer. Le 13, on défendit de se substituer, pour faire le service militaire, un autre qu'un homme en état de combattre, sous peine de 10 sous d'amende ; de manquer à la garde, sous peine de 30 sous ; de circuler après la cloche de nuit ou couvre-feu, sous peine d'une maille ; de se promener sur les murailles. Ordre de partir dans les dix jours fut donné aux étrangers qui seraient originaires de pays ennemis et qui n'habiteraient pas en ville depuis un an. Le lendemain, nouvelle ordonnance: défense est faite aux habitants, jusqu'à nouvel ordre, de s'absenter sans autorisation, sous peine de bannissement, et aux étrangers de sortir de chez eux, sans porter de signe distinctif ; d'autre part, on invite les femmes à rester chez elles pour surveiller les enfants, les hommes et les jeunes gens à se munir d'armes pour leur défense, ceux qui possèdent des biens au dehors, à 400 pieds des fossés, au plus, à en emmener à l'intérieur de l'enceinte la dépouille ou récolte.
La ville ne courut aucun danger, les ennemis ne dépassèrent pas les alentours de Binche et les troupes impériales ne tardèrent pas à prendre l'offensive ; mais le pays souffrit beaucoup: un grand nombre de « vagabonds, brimbeurs et brimberesses » se répandirent dans le pays, mendiant ou pillant selon que l'occasion se présentait. Les magistrats en firent saisir une bande, composée de cinq personnes « en la grange de la cense et là enthour de l'Hostelerie », entre nuit et jour. « Sous umbre de tirer raynes », on dévastait fréquemment les jardins potagers, les colombiers, les viviers ; on péchait des carpes et autres poissons. C'est ce qui détermina l'abbesse, son maire, les échevins, bourgmestres, rentiers et jurés, les maire et échevins du fief de Rognon, et les maîtres des métiers, à comminer une amende de 30 sous contre ceux qui entreraient dans les jardins, les champs cultivés etc., et y causeraient du dommage ; à défendre d'y pénétrer avec des armes et d'y tirer, de tirer en ville, sauf dans les berceaux affectés à cet usage, de vendre des herbes ou légumes provenant des héritages et prés d'autrui (15 juin 1546).
Une autre cause de désordre ne tarda pas à se joindre à celles qui aggravaient déjà la situation pénible du pays, menacé d'invasions incessantes et accablé d'impôts. Le protestantisme s'infiltra à Nivelles, où, comme nous l'avons vu plus haut, l'hérésie avait déjà fait des ravages au XVe siècle. Les édits rigoureux de l'empereur furent impuissants à en arrêter les progrès. Le 1er août 1545, l'empereur chargea le maire et les échevins d'ajourner et de juger quelques habitants de Nivelles, « qui, infectés de la secte luthérienne et autre hérésie », s'étaient enfuis de cette ville. En 1547-1548, « un petit garçon blasphéma publiquement la sainte Vierge immaculée, mère de Dieu » ; ce malheureux, après avoir été emprisonné, chargé de fers, pendant 42 jours, eut la langue percée. L'année suivante, une autre personne fut poursuivie pour avoir joué aux échecs en plein marché, pendant la procession générale du jour de l'Assomption. Le 5 juillet 1548, Jean de Loir et Jean del Warde furent constitués gardiens des biens de la veuve de Jean Grevai, qui était suspecte d'hérésie, mais fugitive ; ils y restèrent jusqu'au 25 janvier suivant, que Jean Bacheler, huissier du conseil de Brabant, vint opérer la saisie de ces biens au nom de l'empereur.
Le 30 avril 1549 eut lieu l'entrée d'une nouvelle abbesse, Marguerite d'Estourmel, à laquelle la ville offrit trois aimes de vin blanc à 11 livres l'aime. L'élection de cette dame avait été marquée par un incident d'un nouveau genre: les commissaires de l'empereur s'étaient présentés pour y procéder, le 9 décembre 1548, mais les lettres dont ils étaient porteurs ne s'adressant qu'aux chanoinesses, le chapitre refusa de les admettre. Ils revinrent porteurs de pouvoirs mieux en règle, et munis d'un ordre qui prescrivait la nomination de Marguerite.
Peu de temps après, le fils unique de l'empereur, le sombre Philippe II, si funeste à notre pays, fut solennellement reconnu en Belgique comme le futur héritier de nos provinces. Sa réception par les états de Brabant se fit à Louvain au mois de juillet ; la ville de Nivelles y fut représentée par Odry Gil et le pensionnaire Erasme Le Roy, à qui on paya de ce chef 10 livres (à raison de 20 sous ou d'une livre par jour, pour chacun).
Lors de l'invasion de la Belgique par le roi de France Henri II, en 1554, Nivelles fut menacée d'un siège. A l'annonce de l'entrée des ennemis dans le pays, au mois de juin, deux députés, Jérôme Gillenghien et Erasme Le Roy, se rendirent à Bruxelles, auprès de Marie de Hongrie pour demander l'assistance de quelques troupes ; le mois suivant, Le Roy et un des magistrats, Odry Basset, firent une seconde démarche du même genre, qui aboutit à l'envoi à Nivelles de la bande (ou compagnie) de M. de Carondelet. Le 20 juillet, Henri II campa à Jumet, et envoya, pour surprendre Nivelles, « le comte Rodolphe, avec ses pistoliers, son régiment d'Allemans, la compagnie de M. le duc de Bouillon et deux moyennes pièces de campagne » ; mais la ville était en état de défense et les Français se bornèrent à en brûler les faubourgs. A cette époque se rapporte une ordonnance, sans date, du gouverneur de Nivelles, de l'abbesse, de son maire, des échevins, des bourgmestres, rentiers et jurés, par laquelle ordre est donné aux hôteliers d'indiquer exactement le nom des étrangers qui logeraient chez eux, aux habitants de placer sur la façade de leurs maisons des lanternes allumées etc. Cette échauffourée coûta à la commune 173 livres 15 sous, outre la poudre et les autres munitions qu'elle fournit, et 99 pots de vin qui furent livrés lors de l'arrivée de dix enseignes d'Allemands commandées par Lazare Zwendy.
Le clergé et les bourgeois se querellaient alors, à la suite, paraît-il, de sermons prononcés par un prédicateur ou dominicain trop ardent. L'autorité suprême dut intervenir pour rétablir la tranquillité dans la ville. Tandis que le chapitre enjoignait aux ecclésiastiques de l'église de Sainte-Gertrude et aux curés de ne causer aucun déplaisir aux bourgeois, ni en paroles, ni par voies de fait, le conseil de Brabant envoya un ordre semblable aux habitants, le 9 août 1551. Le clergé réclamait de nouveau son exemption d'impôts, ce qui provoqua l'envoi aux états généraux d'une députation de la commune, chargée de combattre cette prétention. L'année suivante, Charles-Quint renonça solennellement à ses Etats, au profit de son fils Philippe II.
Adrien de Bonne et Erasme Le Roy assistèrent, au nom de la ville, à la cérémonie solennelle qui eut lieu à cette occasion à Bruxelles, le 25 octobre 1555. Leur voyage leur valut une indemnité de 20 sous par jour, le premier pour 10 jours, et le second pour 5 jours d'absence. Une ordonnance du 16 mai 1558 reproduit la plupart des mesures hygiéniques que l'on regardait à cette époque comme les plus efficaces: défense y est faite d'accumuler des ordures sur les marchés et dans les rues ou ruelles ; ordre est donné de garder les porcs en lieu clos jusqu'au matin, que le porcher de la commune les conduira aux champs, réunis en une herde (ou troupeau) commune. Enfin, on interdit d'engraisser des porcs en ville et d'y tenir des oisons, des canards etc.
Quelques années de tranquillité précédèrent l'explosion de la tempête terrible qui devait engloutir l'antique prospérité de nos provinces. Le nombre des adhérents à la réforme avait augmenté à Nivelles, où l'opulence des établissements religieux fut menacée, en 1566, par les iconoclastes. A l'annonce des premiers ravages exercés par ceux-ci, les curés, les chapelains et les autres suppôts du chapitre se réunirent le 23 août aux rentiers et à d'autres députés de la commune. Ces derniers ayant fait remarquer qu'on semblait surtout en vouloir aux gens d'église et à la religion catholique, le chapitre s'engagea à fournir tous les jours, pour faire le guet concurremment avec la bourgeoisie, 14 personnes, outre six autres qui garderaient la collégiale. Vers ce temps, une ordonnance non datée prescrivit les mesures de précaution suivantes: on ne tiendra ouvertes que trois portes: la porte Montoise, le Saulx et Belianne, dont chacune serait occupée par six hommes, tant gens d'église que laïques, outre 16 personnes qui veilleraient sur le rempart ; chaque chef de ménage sera assujetti à faire le guet lui-même ou à se faire remplacer par une personne apte au service ; tout habitant apportera le nom de ses hôtes à la maison de ville, le soir, après la fermeture des portes ; soir et matin on sonnera la cloche pendant une demi heure, pour annoncer celte fermeture et la réouverture des portes ; après six heures, personne n'entrera plus en ville, sans une permission du rentier ayant la garde des clés ; les gens des faubourgs apporteront à l'intérieur les échelles qu'ils auront en leur possession etc.
Plusieurs Nivellois furent poursuivis comme coupables d'avoir participé aux premiers mouvements insurrectionnels. Le fougueux Grouwels, drossard de Brabant, condamna à être pendus Gérard Coopman, sa femme et Guillaume Servais (2 mars 1568-1569), et on bannit Léonard de Sart (21 juin 1569), François des Traulx, Henri de la Gruese, qui avaient pris la fuite. François possédait, à Couparty, des biens assez considérables, dont son fils obtint plus tard la mainlevée ; quant à Henri, il laissa un fils du même nom, qui, après la mort de sa mère, Anne Herdincx, réclama du conseil de Brabant la propriété du patrimoine de celle-ci et en obtint en effet la restitution, le 16 octobre 1570.
L'hiver de 1571-1572 fut signalé par les mesures de rigueur à l'aide desquelles le duc d'Albe essaya d'obliger nos populations à consentir à la perception du dixième et du centième denier. En vertu d'un ordre du duc, du 21 novembre 1571, le lieutenant bailli prescrivit aux maires et aux échevins des treize villages de la mairie de Nivelles de procéder à cette perception, en ajoutant que sinon on s'en prendrait à eux-mêmes.
L'occupation de la Brielle par les gueux de mer, la surprise de Mons par Louis de Nassau et l'entrée du prince d'Orange dans le pays à la tête d'une forte armée de réfugiés et de mercenaires entourèrent de périls le duc d'Albe et la domination espagnole. L'habileté et la prudence du duc le firent triompher, au prix, il est vrai, des provinces septentrionales. Nivelles fit alors réparer ses fortifications, pour lesquelles le chapitre lui accorda la coupe d'un bonnier du Bois de Nivelles (28 mai 1572). Le prince d'Orange, étant arrivé à proximité de la ville, la somma de lui fournir des vivres et de l'argent ; ses habitants refusèrent d'abord, dans l'espoir que le duc d'Albe leur enverrait des secours, mais ce général n'ayant pas voulu affaiblir l'armée qui bloquait Mons, ils furent obligés d'entrer en composition.
Le 27 juin 1575, dans une assemblée de ce corps, on proposa d'ouvrir à ce sujet une enquête, afin de prouver à l'évidence la non-culpabilité des membres et des suppôts du chapitre, ainsi que celle des habitants. Mais les chanoinesses, à qui on demanda de jurer qu'elles n'étaient en rien informées du fait précité, s'y refusèrent, par la crainte, dirent-elles, des conséquences ; si elles savaient quelque chose, ajoutèrent-elles, elles en donneraient connaissance sans y être invitées. Les doyens, chanoines et chapelains, interrogés à leur tour, protestèrent immédiatement qu'ils ne savaient rien.
Les insultes n'épargnaient pas même l'évêque de Namur, dont l'autorité spirituelle s'étendait, depuis 1559, sur le Brabant wallon. Ce prélat avait fixé à Nivelles le siège de son officialité en Brabant (les Brabançons, en effet, ne pouvaient être, pour aucun motif, cités en justice hors de leur pays), et l'exercice de sa juridiction l'avait aussitôt brouillé avec le chapitre, qui avait, le 7 mars 1569, accepté les statuts envoyés par le prélat, « mais seulement pour éviter les censures ecclésiastiques» ; le 26 juin 1570, refusé d'envoyer des députés au synode provincial convoqué à Namur; et enfin, contesté au chef du diocèse jusqu'au droit de visiter les églises. L'évêque Havet et son vicaire Hugues de Noyelles se voyaient à chaque instant diffamé, et ce dernier, à plus de cinquante reprises, fut qualifié, dit-on, par le chanoine La Grue de larron, de fils de ribaude, de bâtard. Havet exprima ses motifs de plainte dans une lettre qu'il adressa au conseiller d'Assonville, et qui est conçue dans les termes suivants :
« Monsieur,
Vous verrez par les copies cy joinctes ce qu'est advenu en ung faulxbourg de Nivelle et en quel temps. De quoy je vous supply en advertir Son Excellence, pour y remédier comme elle trouvera convenir, m'ayant auparavant chassé de leure ditte ville à force d'actes injurieux, lesquels ils continuent journelement. Je n'ay sceu faire aultre chose sinon de les abandonner, suyvant l'ordre qu'en a donné Nostre Sauiveur Jhesu Christ en S. Mathieu, Xl chap., à ses apostres, et transférer le consistoire Episcopal en la ville de Gembloux, attendu que je ne puis aucunement y remédier et qu'ilz tiennent l'aucthorité Episcopale ridiculeuse. Je tiens ces informations origineles auprez de moy, le mayeur dudict Nivelle est si malheureux qu'il a mis en avant que le cas estoit advenu par le prieur et qu'il estoit tombé en phrénesie, ce qui est très faulx. Plustost oseray-je dire que cest par faulte de justice, et que la dicte ville de Nivelle c'est la danse des crapaux, chascun est son maistre, nulle correctetion se fait des délinquantz: seulement on cherche des amendes.
A tant, Monsieur, je prie Dieu vous don en santé bonne et longue vie, me recommandant humblement en vostre bonne grâce. De Namur, le XVI de juillet 1575.
Vostre humble orateur et serviteur, F. ANTH. HAVETILS. »
Cette lettre provoqua des ordres du gouverneur général Requesens, en date du 25 juillet 1575, invitant l'évêque à se rendre à Nivelles pour y prendre des informations au sujet de l'attaque contre les Guillemins, et le substitut du procureur général de Brabant à procéder contre les personnes qui injuriaient le prélat. Celui-ci n'obtint qu'une assez pauvre satisfaction. A son départ de Nivelles, le doyen fit arrêter le chapelain Jean Domont, que le chanoine La Grue désignait comme l'auteur des pamphlets incriminés. On l'enferma dans une « bonne chambre, où ses collègues allaient faire « bonne chère » avec lui, et on avait l'intention de le condamner simplement à un pèlerinage à Cologne ou à Aix-la-Chapelle, mais l'évêque intervint, pour qu'on le gardât à la disposition du gouverneur général (8 août 1575).
Vers la même époque, l'archevêque de Cambrai ayant réuni un synode dans sa ville métropolitaine, afin de faire accepter les dispositions du concile de Trente, l'abbesse Marguerite de Noyelles y députa maître Alphonse de Ylleren. Ce délégué, dit une chronique, exposa au synode que les chanoinesses n'étaient pas tenues à faire profession conformément aux prescriptions du concile, mais il s'engagea à adhérer aux décisions que prit l'assemblée, pour ce qui concernait les dîmes.
Le désordre dans les esprits s'accrut encore à la mort de Requesens. La Belgique entière se souleva contre les Espagnols, et Nivelles ne fut pas la dernière à s'armer pour la défense de la cause nationale. Le 25 juillet et le 10 août 1576, tous les bourgeois, grands et petits, furent sommés de se procurer des armes, « pour le service de Sa Majesté et la défense de leurs corps ». Un complot avait été tramé entre les soldats espagnols, et les Allemands du régiment de Polweiler, en garnison dans Nivelles, pour s'emparer de la ville; mais les bourgeois en fuient avertis, appelèrent à leur aide deux compagnies de Wallons, et égorgèrent les Allemands.
Par une ordonnance du 28 janvier 1577, qui fut depuis renouvelée, le 3 janvier 1581 et le 31 août 1582, l’abbesse et les magistrats enjoignirent aux habitants, sous peine de 40 sous d'amende, de faire le guet ; sous peine de 2 sous, d'arriver armés pour la parade, au premier son du tambour ; sous peine de 3 sous, de ne pas quitter la garde, sans permission. Tous les habitants, hommes mariés et jeunes gens, étaient astreints à ce service, et les veuves devaient payer un remplaçant, qui ne pouvait exiger que 4 sous par jour.
Don Juan, après sa réception en qualité de gouverneur général au nom de Philippe II, ne tarda pas à se brouiller avec les états généraux~; s'étant ménagé des intelligences dans Nivelles, il espéra s'en rendre maître ; mais les états, pour déjouer ses intrigues, y envoyèrent, le 7 août 1577, une garnison, que les Nivellois reçurent, non sans quelque difficulté.
La bataille de Gembloux, que don Juan gagna sur les troupes des Etats, lui livra plusieurs villes du Brabant et répandit la terreur jusque dans Bruxelles. Après avoir pris Louvain et tenté sur Vilvorde une attaque qui ne réussit pas, Charles de Mansfeld, à la tête de troupes levées en France par ordre de Philippe II, se porta vers Nivelles. A son approche chacun s'enfuit et, à partir de cette époque, la plupart des villages du voisinage restèrent inhabités pendant plusieurs années. Le sire de Villers, Josse De Zoete, commandait dans la ville, et avait sous ses ordres cinq compagnies d'infanterie et deux de cavalerie. Une première sommation ayant été fièrement repoussée, huit canons ouvrirent contre la ville un feu terrible, mais ni cette canonnade, ni trois furieux assauts n'ébranlèrent le courage du sire de Villers. Toutefois, le prince d'Orange et le sire de Boussu l'ayant autorisé à capituler, et don Juan étant venu renforcer Mansfeld, Villers se rendit, le 12 mars 1578, à la condition que ses soldats pourraient sortir l'épée au côté et les chefs et capitaines à cheval ; que tous jureraient de ne plus servir contre le roi, ses sujets, jamais, les autres, pour un terme d'un an et qu'ils seraient escortés par Mansfeld jusqu'à Braine-le-Comte. La capitulation, que ce général signa le 11, au faubourg de Namur, fut très mal observée: les défenseurs de Nivelles faillirent être massacrés à l'improviste par quelques ennemis, tandis que les vainqueurs pillaient et rançonnaient les bourgeois, dont quelques-uns furent pendus, pour avoir dirigé la défense. Les assauts coûtèrent aux assiégeants environ 800 hommes, dont les corps encombraient les fossés de la ville. Le siège fut très funeste aux faubourgs, où le magistrat fit incendier le moulin du Charnier, «comme nuisable à la ville », et où les Français brûlèrent nombre de maisons, notamment, le 7 mars, une maison située « al Saulx ».
Les soldats français de don Juan ne pouvant se plier aux coutumes adoptées par les vétérans espagnols, leurs compagnons d'armes se soulevèrent en exigeant le paiement de ce qu'on leur devait pour leur solde. Don Juan ne céda pas à leurs exigences et se fit livrer les chefs de la sédition qu'il aurait tous envoyés à la potence, sans les prières de ses lieutenants. Un seul des coupables fut exécuté ; puis don Juan partit, le 16 mars, après avoir confié la défense de la ville au sire de Lenoncourt, gentilhomme lorrain, et à trois compagnies. Cette garnison exploita sans pitié les malheureux paysans auxquels, au mois de mai, elle enleva, en moins de deux jours, environ 600 têtes de bétail, non par suite de manque de vivres, mais uniquement pour assouvir sa soif de pillage.
Un succès remporté à Rymenant ayant rendu quelque courage aux états généraux et obligé don Juan à se retirer à Namur, un des généraux belges les plus estimés, le sire de Boussu, reprit l'offensive. Après avoir inutilement essayé d'emporter Louvain, il se dirigea sur Nivelles, qu'il investit le 17 septembre, et dont la garnison obtint la faculté de sortir avec ses armes, mais sans drapeaux. Un officier de don Juan, Georges Basta, avait réussi à entrer en ville par la porte de Namur, et en était reparti sain et sauf, après avoir remis les lettres dont il était porteur. Ce fut alors que les Espagnols brûlèrent la « maison du duc de Brabant hors la porte du Charnier », dont le locataire l'avait abandonnée après la bataille de Gembloux. Le receveur du domaine nommé par les Etats voulut profiter de l'occasion pour faire payer une somme qui était due par un habitant de Monstreux, mais cet homme et sa femme étaient morts de misère, leur avoir avait été pillé et leur maison incendiée.
La peste joignit ses ravages à ceux que causait la guerre. On mentionne à cette époque « la maladie contagieuse qui estoit en ladite ville si véhémente que en mourut environ le nombre de six mil personnes, sans qu'il y eust en la même ville quasi une maison sans infection ». Le fléau sévissait encore en 1581 ; le 25 août de cette année, le chapitre autorisa les rentiers à inhumer ceux qui en mouraient dans l'église Saint-Maurice, où le service divin ne se faisait plus. En outre, les chemins étaient si dangereux que « quasi journellement on trouvoit gens meurdris et détroussez par les voleurs» ; ce malheur arriva en juillet 1519, au receveur du domaine, qui se rendait à Nivelles de Bruxelles, où il y avait « une grande émotion, à cause « de la prise de Maestricht et de la nouvelle rivière » (c'est-à-dire des écluses du canal de Willebroeck) par les Espagnols.
Une résolution des états généraux, du 26 décembre 1578, approuvée par l'archiduc Matthias et le conseil des finances le 28 du mois suivant, autorisa la ville de Nivelles à faire effectuer, afin de payer la garnison, une coupe extraordinaire dans les bois voisins, appartenant par moitié au souverain et au chapitre. Les bois de Hez et de Bossut n'étant pas abordables, on se borna à couper les bois de Hazoy et de Nivelles, où les ventes d'arbres produisirent 337 livres, au moyen desquelles on paya le gouverneur, Simon de la Personne, seigneur de Couteville, et sa compagnie d'infanterie, et le capitaine Elie Lion et sa compagnie de chevau-légers. Couteviile prit quelques mesures pour protéger les environs de la ville, qui étaient exposés à d'incessantes dévastations. Le 2 et le 31 janvier 1579, il défendit d'y abattre des arbres à fruit, d'y démolir des maisons, même ruinées etc., sans l'autorisation des propriétaires. Les paysans qui s'y étaient réfugiés prétendaient, «sous umbre des guerres présentes, mettre les biens en commun, chose illicite et par trop préjudiciable», défense leur fut faite de laisser leurs bestiaux pâturer dans les prairies et les jardins, sous peine de dix patars par tête de bétail (3 avril 1579).
Une scission profonde se manifesta à cette époque parmi les défenseurs de la cause nationale. Indignés des attaques que les calvinistes dirigeaient contre le catholicisme et de l'influence qu'ils acquéraient de plus en plus au détriment du clergé, les provinces wallonnes se séparèrent des états généraux et, sous le nom de Malcontents ou Mécontents, se rallièrent à don Juan. Nivelles suivit, en cette occasion, l'exemple que lui donnèrent l'Artois, la Flandre française et le Hainaut.
Cette défection n'avait pas été accueillie avec faveur par toute la population, et quelques bourgeois entrèrent en négociation avec Olivier Vanden Tympel, le gouverneur de Bruxelles, ils promirent de lui livrer la ville, à condition qu'elle serait exempte de pillage et que les habitants n'auraient qu'à payer un droit de gages à la garnison qui viendrait l'occuper. Le 20 janvier 1580, la garnison de Bruxelles, commandée par Denis, frère d'Olivier, parut devant Nivelles, au moment de l'ouverture des portes ; la garde opposa quelque résistance, et plusieurs personnes furent tuées, mais les assaillants l'emportèrent et pénétrèrent dans la ville. M. de Glymes, qui en était gouverneur, avait été averti de la tentative projetée, et n'en avait pas cru la réalisation possible ; il se cacha dans une étable, où on le fit prisonnier. Les relations, on le conçoit, varient sur les circonstances qui suivirent. Les auteurs exagèrent ou atténuent les dégâts commis par les vainqueurs, selon le parti auquel ils appartiennent.
D'après ce que disent les Chroniques manuscrites, écrites surtout au point de vue catholique et presque toutes par des ecclésiastiques, les églises eurent énormément à souffrir: les Gueux coururent à Sainte-Gertrude dans l'intention de piller l'église et d'enlever les ornements de bronze qui l'ornaient en grande quantité. La prévôté Anne de Namur, que sa courageuse conduite en cette occasion fit plus tard choisir pour abbesse, eut le courage de se jeter au milieu d'eux et de reprocher au gouverneur ces attentats contraires à la promesse qu'il avait faite à ceux qui lui avaient livré la ville. Le gouverneur, en effet, ordonna à ses soldats de se retirer et la collégiale ne souffrit en rien. Remarquons cependant que le service y cessa dès le 23 janvier, de même qu'à Saint-Paul, où les autels furent démolis, les images brisées, et où l'on introduisit ensuite le culte calviniste.
Les églises de Saint-Jean l'Evangéliste, de Saint-Maurice etc., furent complètement dévastées, ainsi que celle des Cordeliers, où l'on mit en pièces de magnifiques vitraux, dons de grands personnages, et que l'on dépouilla de ses ancres, afin d'en accélérer la chute. Le couvent des mêmes religieux fut totalement abattu, les Guillemins et Orival furent incendiés, ainsi que le prieuré de Bois-Seigneur-Isaac et l'abbaye de Nizelle ; les chapelles de Sainte-Anne, du Petit Saint-Jean, de Roblet, de Saint-Jean de Jérusalem, de Notre-Dame des Sept-Douleurs furent spoliées de leurs ornements et profanées.
Ces faits déplorables ne peuvent être révoqués en doute, quoiqu'on doive dire que la destruction des églises et des couvents au dehors de la ville fut en partie commandée par la nécessité de protéger Nivelles contre une surprise ou un siège, et que les dégradations à l'intérieur ont été exagérées. Ainsi, comme l'administration communale le prouva plus tard, l'église de Sainte-Gertrude ne fut aucunement dévastée ; on l'assaillit une seule fois, mais le gouverneur en chassa les pillards. Dans la première fureur et aussi, sans doute, par esprit de parti, on commença à piller les habitations bourgeoises, comme l'avoue l'historien Le Petit, mais cela ne dura pas, car un accord fut conclu par la ville, qui s'engagea à payer une branschat ou rançon de 7,750 florins. Deux ou trois chanoines, qui avaient été faits prisonniers et conduits à la maison communale, promirent, au nom de leurs collègues, que le chapitre paierait le tiers de cette somme. Cet engagement ne fut pas tenu: une réunion eut encore lieu dans la maison de la prévôté, et on y amena, sous l'escorte d'officiers, les mêmes chanoines. La ville offrit de payer un demi-mois de solde à la garnison, dont l'entretien ultérieur serait mis à la charge du chapitre. La prévôté et quelques chanoinesses ayant refusé leur assentiment à cet accord, les députés de la commune déclarèrent qu'ils donneraient 1,600 florins à la cavalerie et aux fantassins écossais, afin d'accélérer leur départ, et demandèrent au chapitre de contribuer dans cette dépense le plus possible. Le chapitre vota 642 florins, sans qu'un arrangement définitif pût intervenir, et la ville dut se charger du surplus. Huit ans après, elle cita le chapitre à comparaître devant le conseil de Brabant qui, en effet, condamna ce corps à payer le tiers de la rançon citée plus haut, déduction faite des 642 florins dont nous venons de parler (31 octobre 1602 ). La partie vaincue souleva vainement de nouvelles difficultés ; elle dut enfin s'exécuter et rembourser 1,700 florins à la commune.
Un témoignage non équivoque des violences que les troupes de Denis Vanden Tympel exercèrent d'abord résulte des observations que firent les nations de Bruxelles en consentant à la demande d'Olivier, son frère, pour l'envoi de canons et de poudre à Nivelles (1er et 3 février 1380) : elles engagèrent Olivier à « tiraiter les habitants de cette ville avec douceur, afin d’en attirer d'autres à la généralité ». L'habile Vanden Tympel se rendit à Nivelles, où il rétablit la discipline dans la garnison et où il laissa son frère en qualité de gouverneur. Ceci eut lieu vers le 1er février, quand le taux de la rançon fut fixé. A son retour a Bruxelles, il y conduisit l'abbesse Marie de Hoensbroeck, la prévôté Anne de Namur, Jeanne de Malbergh, Jeanne de Herzelles, Anne de Croisilles alias de Montmorency et quelques autres jeunes chanoinesses, qui furent enfermées dans la prison dite l'Amigo. Le receveur du domaine au quartier de Nivelles voulut les suivre ; mais, arrivé à la porte, on lui enleva son argent (133 livres 19 sous) et ses papiers. Il alla se plaindre à Denis Vanden Tympel, qui lui aurait répondu, selon ce que le receveur déclara plus tard, « que les spoliateurs avoient bien fait, et qu'au cas qu'ils lui eussent coupé la gorge ou jeté derrière une haie, que les plaintes n'eussent venu si avant ». Ayant réclamé de nouveau à Denis et aux magistrats communaux, en présence de maître Jean Houwaert, membre de la chambre des comptes, on lui conseilla de poursuivre les coupables, avis dérisoire, car ceux-ci étaient morts ou gens peu endurants. Comme il continuait ses doléances, on l'arrêta et on le retint en captivité jusqu'au mois d'août. Alors, par ordre de l'archiduc Matthias, on le ramena à Bruxelles, où il arriva malade et sans avoir pu obtenir la moindre restitution.
Il fallut bientôt songer à rétablir l'ordre dans Nivelles, où l'administration locale était complètement désorganisée. Un ordre en date du 19 février 1580 confia à Josse Vander Vorst, échevin de Bruxelles, Guillaume Vander Beken, commissaire des montres (ou revues) des gens de guerre, et Sébastien Keymbouts la mission de procéder aux convocations habituelles, de destituer les magistrats étant en fonctions et de les remplacer par les personnes dont les noms se trouvaient sur un billet fermé, joint à l'ordre même. Denis Vanden Tympel avait pris de fait le commandement de la ville, mais ses lettres patentes de gouverneur ne furent signées que le 8 juin ; le gouverneur général les motive sur la nécessité de « commettre quelque personnage, à lui, féal et confident, pour tenir sa ville de Nyvelles, et y avoir par provision le gouvernement et .superintendance officielle ». Mais Denis ne succéda pas à Jacques de Glymes en qualité de bailli ; ces fonctions, à la recommandation du prince d'Orange, furent données, le 23 juillet, à Guillaume De Hertoghe, seigneur d Orsmael.
Une ordonnance du 8 mars avait satisfait à une plainte très fondée qu'élevaient les habitants: les paysans réfugiés à Nivelles avaient l'habitude de conduire leurs bestiaux sur les champs et de faucher les prairies, sans s'inquiéter du consentement des propriétaires. Défense fut faite d'en user de la sorte, en même temps qu'on autorisait les propriétaires lésés à s'emparer de ces bestiaux, à charge de les remettre à l'officier ou au sergent, afin d'être vendus: pour une moitié, au profit des travaux de fortification ; pour un quart, au profit de l'officier, et pour un quart, au profit du propriétaire lésé. Les trois membres donnèrent à l'officier les pouvoirs nécessaires pour procéder à l'exécution rigoureuse de cette ordonnance. Le chapitre, pendant toute celte crise, fut traité sans ménagement. On le surchargea de logements militaires. Son trésor fut mis au pillage. Il ne garda en ornements d'église que ceux qu'on avait eu la précaution de sauver, à Mons. Ses sceaux furent perdus ; ses archives bouleversées ne prirent de l'ordre que longtemps après, à la suite d'une résolution de les reclasser, qui date du 23 décembre 1517. Non seulement ce corps dut fournir ou salarier constamment 50 hommes pour les travaux de fortifications, mais le conseil d'Etat le taxa, le 21 mars, à 2,000 florins, en rédemption de la couverture de plomb de la collégiale, plomb qui, d'après un usage devenu alors général, aurait dû être confisqué au profit du vainqueur. A la demande du maire, des rentiers, des jurés et des bourgeois, cette somme fut affectée par les états généraux à la réparation des fortifications, et, le 18 avril, on autorisa le gouverneur et le magistrat à se la procurer en aliénant des biens du chapitre, avec cette réserve seulement qu'un délégué du chapitre serait présent à la vente. Le 24 juin, le premier huissier du conseil de Brabant somma ce corps de payer immédiatement, sous peine de voir saisir la Cense de Baulers, qui fut, en effet, cédée à un tiers, moyennant 1,325 livres 14 sous, mais revint ensuite à ses anciens possesseurs. Le surplus de la somme, 674 livres 6 sous, fut donné par les états-généraux, le 8 octobre, au pensionnaire de la ville de Nivelles Jean Deschamps, en récompense des grands services qu'il avait rendus à la généralité et des dépenses qu'il avait supportées dans l'intérêt public. Afin de fournir ce surplus, on permit à la commune de vendre une redevance annuelle de 40 muids de blé et 40 muids d'avoine, qui était hypothéquée, au profit du chapitre, sur les cens, seigneuriaux de Wambeek (21 octobre 1580). Deschamps était, paraît-il, le principal auteur de la prise de Nivelles ; son fils expia plus tard son dévouement à la cause des Etats par une mort cruelle ; il fut écartelé à Mons.
Olivier Vanden Tympel, en partant pour Anvers, avait chargé son lieutenant de faire enlever les cloches de la collégiale et de les envoyer à Bruxelles par le premier convoi qui partirait pour cette ville, où on les vendrait à son profit. Mais des réclamations ayant été adressées à l'archiduc Matthias, gouverneur général, ce prince adressa à Denis Vanden Tympel des ordres contraires et lui demanda à quel titre il entendait agir de la sorte. Les cloches, à ce que disent les chroniques, furent brisées, et le convoi de transport, chargé de métal, se trouvait déjà dans la rue de Bruxelles, en partance pour cette ville, lorsqu'une querelle s'éleva entre les capitaines des troupes des Etats: l'un d'eux, Sohaut (ou Souhay), qui était wallon de naissance, déclara aux capitaines écossais qu'il entendait avoir une part de ce butin. Le convoi fit halte et on conduisit le métal des cloches à la Halle au blé, où on le retrouva lors de la prise de la ville par les Espagnols.
Le service divin, suivant le rite catholique, ne recommença à Sainte-Gertrude qu'au mois de juin, à la suite de quelques mesures prises, le 3, par le chapitre assemblé dans le chœur des Dames.
Les communications étaient toujours très difficiles entre Nivelles et Bruxelles, d'où la première devait tirer des secours de toute espèce ; les autres villes du voisinage étaient retombées sous la domination des ennemis, dont la cavalerie battait les campagnes environnantes. Au mois de mai, la garnison de Bruxelles conduisit des vivres et des munitions à Nivelles, où elle laissa un renfort de deux compagnies de gens de pied et une de cavaliers ; à son retour, elle rencontra deux cornettes de cavaliers albanais, qui, étaient sorties de Braine-le-Comte, et qui furent chargées et forcées de fuir, laissant 30 ou 40 prisonniers entre les mains des soldats d'Olivier Vanden Tympel.
Cette situation se prolongea jusqu'au mois d'octobre, que le prince de Parme chargea le comte de Mansfeld d'assiéger Nivelles, qui fut investie le 5 et prise trois jours après (ailleurs on dit le 1er octobre ou le 30 septembre). Toute la garnison et entre autres huit capitaines furent faits prisonniers de guerre ; Denis Van den Tympel fut échangé contre l'abbesse et M. de Glymes, qui reprit son office de bailli. Mansfeld souilla son triomphe par les cruautés qu'il exerça sur les bourgeois, dont huit furent pendus comme traîtres: Henri des Fossés, Hubert Doulce, Hubert Schot, Jacques Mensnaige, Jacques Quairé, Michel Del Vigne, Nicolas Rugge et Valentin le Bacque.
Nombre d'autres furent bannis ou se condamnèrent eux-mêmes à l'exil : Adrien et Louis De Bonne, André Pade, Adrien et Jean Bouillon, Adrien, Guillaume et Charlotte, enfants de Servais Stilman, Adrien Durant, Bastien et Grégoire Marin, Charles Descamps, Clément Boart, François Waenberg, François Du Rapoy, qui avait contribué à livrer la ville à Vanden Tympel et qui alla demeurer à Bruxelles, François Des Traux, François Du Healme, Godefroid Du Try et les enfants de Guillaume Du Try, Guillaume Foullon, Guillaume des Aublins et Jean, son fils, Hélie des Moulins, Henri de Guilengien, Hubert le Jeusne, Hubert Quairé, Jacques Molquin, Jacques Darmelle, le procureur Jean Deschamps, un autre Jean Deschamps, qui avait épousé Charlotte Le Prince, la veuve et les enfants de Jean Crespin, Lambert de Wavre, Lambert Camby, bâtard, les héritiers de Léonard du Sart, la fille de Nicolas Waide, qui se retira à Bruxelles, où elle alla habiter auprès du capitaine Marenau ; Jean De Cou, Jeau Vrosne, Jean Vigneron, l'escailteur ou ardoisier Jean Le Prince, le prêtre Pierre Le Prince, qui avait aggravé son adhésion à l'hérésie par son mariage ; Jean Brusle, Jean Camby, Jean Trilleman, Pierre le Cyre, Pierre la Grue. Pierre Comele, Pierre Penulle. Philippe Walem, Thierri Vander Beken, seigneur de Neuf-rue, qui habitait Anvers ; Marie Stilman, femme de Michel Barginel ; Guillaume le Charlier, la veuve de maître Antoine Hanick, Françoise, fille de Michel Huyon et de Judith Dubois, et son fils Jean Waelem: Waleran Camar et sa femme Judith Delmoite, et Vincent Walem et sa femme Barbette Huyon. Toutes ces personnes appartenaient à la classe bourgeoise, et la plupart possédaient, outre des biens meubles, des maisons ou des terres. Malgré l'avilissement des immeubles, il s'en trouva tant de confisqués que la recette du domaine, de ce chef, s'éleva, en 1582, à 757 livres.
Depuis lors, le calvinisme disparut de Nivelles ; du moins, on n'en retrouve plus de traces sensibles. Au mois de novembre 1581, le gouvernement espagnol prescrivit, le tout sous peines arbitraires, à ceux qui détenaient des meubles ayant appartenu à des églises, hôpitaux etc., et ayant été pillés pendant les troubles, d'en opérer la restitution dans les trois jours, et à ceux qui auraient en leur possession des « livres hérétiques, scandaleux, réprouvés et damnés », de le déclarer immédiatement. L'opinion de la majorité ne tarda pas à se manifester ouvertement dans le sens catholique: le 8 mai 1587, les jurés ordonnèrent aux rentiers de requérir « bien et certes madame de Nivelles de, par sa justice», faire sortir de Nivelles tous ceux qui s'étaient éloignés de la ville pendant les troubles et qui n'auraient pas obtenu du roi et de l'évêque de Namur leur réconciliation avec l'autorité suprême et avec l'Eglise. L'hérésie conserva néanmoins des partisans, car, le 13 février 1592, un appréhendé (ou vieillard ayant prébende) de l'hôpital Saint-Nicolas fut privé de son « pain », parce qu'il fréquentait les hérétiques. L'intérieur et l'extérieur de la ville présentaient l'aspect le plus déplorable. Outre les édifices publics, qui tous étaient endommagés, on apercevait un grand nombre de propriétés privées converties en ruines. Ainsi, on mentionne, dedans les murs : « une place où étoit une belle maison, du tout ruinée jusqu'aux fondemens, près de la grange de la ville dite de la Gayon ; une maison où estoit un ouvroir de mulquinerie, assise en la paroiche S.-Jean-Baptiste, joindante la grange de la ville appelée la Grange de la Gayon», et dont il ne restait que la muraille et le toit ; une maison, « Ruelle des Arbalétriers, présentement du tout ruinée par le canon, qui a donné à l'endroit de cette maison ; une place où souloit estre une belle hôtellerie à présent fort ruinée, nommée la Tête d'or, près de l'hôtel de ville ; une place vague où souloit estre une hôtellerie près de la Porte Montoise, nommée Saint-Michel ; une place vague où souloit estre une tannerie sise en la Rue de Bruxelles, en la paroisse S. André, près de la rivière ».
Les faubourgs avaient cruellement souffert, particulièrement vers le nord et vers l'est, où les habitations étaient nombreuses et très agglomérées. Laissons parler les documents : « Une place vague où souloit estre une tannerie près Nivelles, hors la porte dei Vaulx ; une place vague où souloit estre une tannerie (appartenant à Hubert LeJeusne), hors de la porte del Vaux, joignant à une place où aussi ci-devant souloit estre une autre tannerie, appartenant à Roland de Guilenghien, à cause que illecq toutes tanneries sont vagues et gasées, situées hors la ville, et dont les marchands ne s'en voudroient servir, durant la guerre ; une place vague, où il y avait deux maisons brûlées et ruinées, au faubourg du Sépulcre, près le moulin ; un jardin où souloit avoir une maison appelée le Franc Staux, près de la chapelle Saint-Jean ; un pâturage, propriété du sire de Neuve-Rue, où souloit estre une cense près de la chapelle Saint-Jean, à présent brûlée et ruinée ; un jardin où soloit avoir une hôtellerie nommée le Blancq Cheval ; un pré où souloit estre une belle maison nommée Folle emprise, à la Waille près Nivelles, contenant six bonniers ; un grand et beau jardin où il y avait une belle maison, à présent ruinée, en tout huit bonniers, situés au Hault-Sablon, le long du grand chemin de Binche et de Petit-Rœulx ». Le château de Stoisy n'avait pas subi le même sort, mais le Moulin de Godron, la Cense du Spinoit, une ferme du hameau de Grambais, une maison à Boblet etc. n'offraient plus que des décombres. Les églises paroissiales de Saint-Cyr et de Gouthal avaient également disparu. L'artillerie de Mansfeld avait pratiqué dans les murs, entre les portes Beliane et du Charnier, une large brèche, qui ne fut fermée que pendant les années 1619 et 1620, en vertu d'une autorisation donnée par les trois membres aux rentiers, le 25 janvier 1619. La maçonnerie fut reconstruite en cet endroit de fond en comble, et tout le travail entraîna une forte dépense.
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