Journée Inter-Cercles de l'Echarp
Wavre et Salzinnes, le 23 novembre 2019

Présentation de l’asbl Roma, par Sébastien Polet

L’asbl Roma est née à Louvain-la-Neuve en 2008. Très rapidement, elle développa des activités à Wavre et finalement délaissa la cité universitaire. Elle organise, avec le Cercle Culturel et Artistique un cycle de quatre conférences chaque année. Depuis 2011, des petits modules de cours en soirée sont également proposés dans la cité du Maca. L’objectif est de permettre au plus grand nombre de mieux connaître ou de découvrir les multiples civilisations antiques et leurs interactions.

L’intérêt d’étudier une période de l’Histoire aussi lointaine s’est évidemment posé. Il n’y a pas encore nos nations européennes, il n’y a pas nos identités multiples actuelles. Pourtant, de nombreux concepts antiques sont encore d’actualité comme la démocratie (embryonnaire dans certaines cités-Etat de Sumer et mieux établies dans certaines cités grecques comme Athènes). L’origine de notre langue remonte au latin. Nos majuscules sont romaines. Il existe de nombreux vestiges romains dans toute l’Europe, ils font aussi partie de notre patrimoine même s’ils n’ont pas un caractère national. En Belgique, la frontière linguistique s’établi durant l’Antiquité tardive. De nombreuses sciences exactes doivent leur développement aux civilisations antiques (Sumer, Babylone, Grèce, Rome) : géométrie, algèbre, astronomie, géographie... Le père de l’Histoire est grec : Hérodote. Les grands styles littéraires et le théâtre remontent souvent à l’Antiquité : tragédie, comédie, satyre politique, poésie, roman… Le Judaïsme et le Christianisme proviennent du Proche-Orient et sont arrivés dans nos régions durant l’Antiquité.

Plusieurs problématiques antiques qui semblent bien contemporaines, ont déjà été étudiées, commentées par des penseurs anciens : la question des migrations, l’indépendance des historiens, les confrontations entre religions… Etudier l’Antiquité c’est évidemment aussi de la curiosité intellectuelle.

Roma ne veut pas entrer en concurrence avec les cercles d’histoire traditionnels. Les activités de l’asbl sont différentes mais peuvent être complémentaires de celles des cercles. Nous préférons travailler en équipe que replié sur nous-même.

Le Conseil d’administration de Roma est composé de cinq personnes : Gaëlle de Cupere, Carine Mahy, Perrine Pilette, Sébastien Polet et Charlotte Vantieghem. Celles-ci font aussi partie de l’équipe scientifique. L’Assemblée Générale est composée de sept personnes.

Dès le départ, il a été décidé que l’équipe scientifique et les membres des deux organes de décisions seraient des professionnels. Ils doivent être diplômés en Histoire, Archéologie, Orientalisme, Philosophie, philologie pour entrer dans les organes de gestion de Roma. Gaëlle de Cupere dispose d’un Baccalauréat (1er cycle) en archéologie et histoire de l’art (Université de Namur) (2011) ; d’une Maîtrise (2e cycle) en archéologie – histoire de l’art (UCLouvain) (2013) et d’une Maîtrise en muséologie (ULg) (2014). Elle est aussi responsable de la communication et de l'animation au Computer Museum NAM-IP (Namur) (Depuis novembre 2018). Elle s’est notamment spécialisée dans l’étude des Etrusques, du monde grec archaïque, de la mythologie gréco-romaine. Carine Mahy est titulaire d’une Licence (2e cycle) en Histoire (UCLouvain) (2006) et d’une Maîtrise en archéologie – histoire de l’art (UCLouvain) (2008). Elle est la directrice du Computer Museum NAM-IP (Namur). Pour Roma, elle s’est spécialisée dans l’étude de Carthage, de la Phénicie, de Sumer, du Levant antique, de l’histoire des écritures, de la route de la soie… Perrine Pilette est la plus diplômée de l’équipe. Elle dispose d’une Maîtrise en langues et littératures anciennes - orientation : orientales (UCLouvain) (2008), d’un Doctorat en langues et littératures anciennes (UCLouvain) (2014), d’un Post-doctorat (Institute for the Study of the Ancient World, New York University) (2014-2015). Cette année académique, elle enseigne à La Sorbonne. Ses spécialités, pour Roma, sont l’Egypte copte et arabe, le christianisme oriental, les langues et littératures arabe et copte… Sébastien Polet assure lerôle d’administrateur délégué de Roma (gestion quotidienne). Il est licencié (2e cycle) en Histoire (UCLouvain) (2002) et licencié (2e cycle) en langues et littératures orientales (philologie et histoire orientale) (2008). Il s’est notamment spécialisé dans l’étude de la dynastie antonine, de l’époque hellénistique, de l’Egypte pharaonique, de la langue égyptienne… Enfin, Charlotte Vantieghem dispose d’un Master en Archéologie et Histoire de l’Art, à finalité spécialisée (UCLouvain) (2011). Elle est aussi diplômée en Archéologie et Histoire de l’art, à finalité didactique (agrégation) (UCLouvain) (2011). Pour Roma, elle s’est spécialisée dans l’étude du Nouvel Empire égyptien, du Haut Empire romain, de la mythologie…

L’équipe est donc pluridisciplinaire. Tous font le choix de travailler ensemble. Les activités et leur nombre sont toujours définis ensemble. Chacun décide de ce qu’il veut faire chaque année. Le but premier de Roma est de faire des activités : cours, conférences, visites guidées, publications… Toutes les décisions doivent être prises à l’unanimité ce qui impose rapidement de trouver des compromis.

L’asbl Roma a tissé un réseau de partenaires sur trois pays. En Belgique, il y a l’asbl Marco Polo (Limal/Wavre) (organisation de voyages) ; l’université des ainés (Woluwé), l’ECHARP, le Centre culturel d’Enghien, la Bibliothèque communale d’Auvelais, le Musée du Malgré Tout (Treignes), le Cercle Culturel et Artistique de Wavre. Au Luxembourg, nous collaborons avec l’asbl d’Millen à Beckerich. En France nous avons des liens avec deux associations d’égyptologie : « Les Amis de Champollion » (Troyes) et « Papyrus » à Lille.

Les activités de l'asbl Roma à Wavre se réalisent grâce au soutien de la ville de Wavre. La revue Volumen est publiée avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles – Administration générale de la Culture. Direction du patrimoine culturel (culture.be).

Volumen est une revue de vulgarisation scientifique. Elle permet notamment aux jeunes chercheurs de publier rapidement. Elle sert aussi aux stagiaires afin qu’ils puissent s’exercer à la publication de vulgarisation scientifique. Les thèmes de Volumen sont larges et traitent de l’Antiquité (Histoire, archéologie, langues, historiographie…). Des bibliographies thématiques, des comptes rendus, un calendrier des expositions liées à l’Antiquité sont proposés en plus des articles.

Depuis 2008, plusieurs cycles de conférences ont été proposés à Wavre. Les communications se déroulent dans la salle des templiers de l’hôtel de ville. Voici la liste des thèmes abordés aux cours de ces années :
- Voyages et périples durant l'Antiquité (2008-2009)
- Sites archéologiques et cultures antiques méconnus (2009-2010)
- Une autre vision de l'Antiquité (2010-2011)
- Commerce et échanges pendant l'Antiquité (2011-2012)
- L'Afrique du Nord pendant l'Antiquité (2012-2013)
- Civilisations majeures qui ont précédé l'Empire romain (2013-2014)
- Les multiples visages d'Hercule (2014-2015)
- Les représentations du pouvoir dans l'Antiquité (2015-2016)
- Les interactions culturelles dans l'Antiquité (2016-2017)
- Antiquité méconnue (2017-2018)
- La cité antique (2018-2019)
- Le féminin dans l'Antiquité (2019-2020)

L’asbl Roma propose des petits modules de cours. Ils se déroulent en soirée afin de permettre aux actifs de venir. Les modules comportent généralement deux ou trois séances de deux heures. Ils sont accessibles sans prérequis. Ils font découvrir des lieux, des concepts, des personnages, des cultures issus de l’Antiquité. Depuis l’été 2015, Roma propose aussi des séminaires estivaux (trois par été) qui se déroulent en une journée, un samedi. Depuis 2014, plusieurs cours d’égyptien hiéroglyphique sont également proposés. L’équipe tente, dans la mesure du possible, de satisfaire aussi des demandes venant du public.

L’asbl Roma se veut connectée à la société. Elle accueille pratiquement chaque année un stagiaire pour le former à la vulgarisation scientifique. Elle propose des articles en accès libre (éducation permanente) : http://roma-asbl.be/Education%20permanente.html

Roma a organisé des activités scolaires, édite une revue. Les actifs et les jeunes sont inclus dans les différentes activités. Chaque année, le nombre de membre est en légère augmentation. Plus de 80 % de nos activités se font à Wavre ou au départ de Wavre (excursions). Nous nous intéressons aussi aux retombées de nos activités sur le commerce local (restaurant, librairie, courses diverses).

De nombreux projets vont encore être réalisés : édition d’un dictionnaire de l’Antiquité. Le tome IV consacré aux rois de l’Egypte (des origines à la fin de la XVIIe dynastie) paraîtra bientôt. Jamais nous ne nous reposons sur nos lauriers. Pour durer, il faut innover, changer, évoluer.

L’asbl Roma propose de faire réfléchir sur des thèmes qui sont parfois d’actualité sans pour autant donner une manière particulière de les penser : migrations, changements culturels et religieux, routes commerciales…

http://roma-asbl.be/

Les routes antiques de l’ambre, par Carine Mahy

L’ambre jaune de Baltique est une résine fossilisée récoltée en milieu marin. Des fragments de ce trésor naturel sont déposés sur le rivage par les marées et tempêtes. Les plus gros morceaux peuvent atteindre plusieurs kilos. Ils se récoltent principalement entre l’embouchure de la Vistule (Pologne) et celle du Niemen (Lituanie), mais également, sur le littoral allemand et dans la région du Danemark (jusqu’au nord des Pays-Bas).

Cette résine s’est formée pendant l’ère tertiaire, et plus précisément au cours de l’éocène, il y a cinquante millions d’années. Le territoire de l’actuelle Scandinavie était alors occupé par des forêts subtropicales. D’autre part, la présence d’eau était nécessaire pour protéger la résine de l’oxydation de l’air pendant le processus de fossilisation. Le gisement primaire de l’ambre de Baltique pas encore localisé.

La couleur des morceaux d’ambre varie du jaune pâle au brun et a souvent emprisonné et fossilisé des insectes ou végétaux. Cette caractéristique a inspiré des poètes antiques, comme par exemple Martial, qui écrivit Au cœur d’une goutte d’ambre, cachée et visible, une abeille semble prise dans son propre nectar. Elle a la vraie récompense de toutes ses peines, elle a dû choisir elle-même cette mort.

L’ambre est appelée sucinum, glesum/glaesum ou electrum chez les auteurs latins, tandis que le terme Elektron se rencontre chez les auteurs grecs. Cette dénomination est apparue en lien avec à sa propriété magnétique, qui a été reconnue pour la première fois par Thalès de Milet au VIe s. av. n. ère. L’observation de cette caractéristique lui a fait émettre l’idée de la présence d’une vie dans l’ambre, même s’il s’agit d’un objet inanimé.

L’origine végétale de l’ambre a été identifiée dès l’Antiquité, mais son caractère fossile était encore ignoré. En témoigne cet extrait de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien (XXXVII, 11) : II est certain que le succin se produit dans les îles de l'océan Septentrional, que les Germains le nomment glessum, […]. Le succin se forme d'une moelle qui découle d'une sorte de pin, comme la résine découle des pins et la gomme des cerisiers. C'est d'abord une liqueur qui sort en abondance, puis se congèle ou par le froid, ou par la chaleur, ou par l'action de la mer ; […] ; du moins il est rejeté sur la côte, roulant dans les flots où il paraît être suspendu, sans aller au fond. Nos Anciens, ayant pensé que c'était le suc d'un arbre, l'ont nommé pour cela succin. Ce qui prouve qu'il provient du pin, c'est que frotté il exhale l'odeur de cet arbre, et qu'enflammé il brûle à la façon et avec l'odeur des torches résineuses. Il est apporté par les Germains dans la Pannonie principalement. Ou encore Ce qui prouve qu'il est d'abord à l'état liquide, c'est qu'on voit à l'intérieur, grâce à sa transparence, différents objets, tels que des fourmis, des moucherons, des lézards. Il est évident que ces objets, retenus par le succin encore liquide, y sont restés renfermés quand il a été durci.

L’ambre, les larmes des dieux : la légende

Le mythe classique est connu par les œuvres d’Ovide, de Diodore de Sicile, de Lucien de Samosate et de Nonos de Panopolis. Une tragédie d’Eschyle, aujourd’hui perdue, était également consacrée à ce mythe : Les Héliades.
Le récit met en scène Phaéton, le fils d’Hélios, à qui ce dernier voulut offrir un présent. Il le laissa en choisir la nature et Phaéton souhaita pouvoir obtenir l’autorisation de conduire le char solaire d’Hélios. Son père l’averti des dangers de cette expérience, mais devant l’insistance de Phaéton, il lui permit de s’élancer sur son véhicule divin. Le jeune homme fut incapable de maitriser l’attelage et quitta la route qu’il devait suivre, menaçant de brûler la terre avec le soleil. Pour protéger la planète, Zeus intervint et lança la foudre sur Phaéton, qui mourût. En apprenant la nouvelle, les Héliades, sœurs de Phaéton, ont pleuré le trépas du jeune intrépide. Elles seraient restées tellement longtemps près de son tombeau, qu’elles se seraient transformées en arbres. Quant à l’ambre, elle aurait été formée par leurs larmes.

Luxe et vertus attribuées à l’ambre par les Anciens

La résine fossilisée de Baltique était un bien précieux, très coûteux dans l’Antiquité. Cette grande valeur amena Pline l’Ancien à critiquer ce produit de luxe : Tel est le prix exorbitant de cet objet de luxe, qu’une toute petite effigie humaine en succin se vend plus cher que des hommes vivants et vigoureux.

L’ambre possédait aussi une valeur apotropaïque et magique. Il pouvait être porté sous forme d’amulettes ou de perles, afin de garantir la victoire, la fertilité, la fortune (chance), ou encore pour chasser les mauvais esprits. Par exemple, dans l’Antiquité, les gladiateurs en portaient pour se protéger dans l’arène, tandis qu’au Moyen-Âge, les Vikings en portaient pour aller au combat.
Il était également présent dans le domaine funéraire. Dans ce cadre, les perles et amulettes étaient censées renfermer l’amour impérissable pour un être disparu, en référence au mythe des Héliades.
Pline l’Ancien cite plusieurs applications thérapeutiques de l’ambre (Hist. Nat., XXXVII, 11-12). C’était bon pour les affections des amygdales et du cou. C’était également indiqué à tout âge contre la folie et la dysurie, soit consommé en breuvage, soit porté en amulette. Portée au cou, l’ambre était également censé guérir les fièvres et les maladies. Pour les affections de l'oreille, il devait être trituré avec du miel et de l'huile. Pour lutter contre les obscurcissements de la vue, il fallait le consommer broyé avec du miel attique. Enfin, on attribuait aussi à l’ambre le pouvoir de guérir les affections de l'estomac sous la forme de poudre prise seule, ou bue dans de l'eau. Au Moyen-Âge, la résine était réduite en poudre pour être consommée par les Arabes en tant qu’aphrodisiaque.

Les routes de l’ambre

Pendant l’âge du bronze, les gisements les plus exploités étaient ceux du Jutland (Danemark). La route d’acheminement de la résine fossilisée vers le sud de l’Europe suivait l’Elbe jusqu’en Bohême (République Tchèque), puis traversait l’Allemagne. Elle passait par la Saale, la forêt de Thuringe et la Bavière, traversée par plusieurs affluents du Danube, pour rejoindre ce grand fleuve. Le Danube donnait accès à la Mer Noire.

Via l’Inn, un affluent du Danube, un itinéraire permettait de traverser les Alpes et de rejoindre la péninsule italique.

Une autre voie Suivait l’Elbe, puis la Saale, mais s’orientait ensuite à l’ouest à partir de la forêt de Thuringe, vers le Main (jusqu’à Mannheim). Ensuite, la route rejoignait le Rhin et se dirigeait vers le Doubs, la Saône et le Rhône en France, ou vers le Neckar et le Jura Souabe en Allemagne (pour ensuite rencontrer le Danube et rejoindre les itinéraires déjà décrits).

A l’époque romaine, il existait des itinéraires balto-pontiques, reliant la mer Baltique à la mer Noire, soit via le Niémen (Lituanie et Biélorussie) puis le Dniepr (Biélorussie et Ukraine), soit via la Vistule (Pologne) et le Dniestr (Ukraine et Moldavie). Après la traversée de la mer Noire, plusieurs débouchés anatoliens étaient accessibles, dont Trapézonte, Sinope ou encore Byzance.

Les routes centrales partaient de la Vistule, de l’Oder ou de l’Elbe. La Vistule donnait accès au nord des Carpates. Ensuite, l’itinéraire passait entre les Carpates et les Sudètes, puis rejoignait Carnuntum (A proximité de Vienne) avant de traverser les Alpes par le passage du Brenner, pour accéder à la région adriatique (Aquilée). L’Oder permettait aussi de rejoindre la route passant entre les Carpates et les Sudètes. En suivant l’Elbe, la suite des itinéraires accessibles étaient identiques à ceux de l’âge du Bronze.

Les routes occidentales partaient par la mer du Nord, puis continuaient par voie fluviale via le Rhin et le Rhône, ou poursuivait la route maritime via la façade atlantique de la Gaule, le contournement de la péninsule ibérique et l’entrée en Méditerranée par le détroit de Gibraltar. Ce dernier itinéraire a fait l’objet d’une reconnaissance par Pythéas (IVe s. av. n. ère).

A quelle époque fait-il dater le développement initial des routes de l’ambre ? Les témoignages archéologiques sont bien attestés dès le néolithique dans les Pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), au Danemark, aux Pays-Bas, en Pologne, en République Tchèque, en Allemagne et en France. Les exemples les plus anciens (à partir de la deuxième moitié du IVe millénaire av. n. ère) se rencontrent dans les régions proches des lieux de récolte de l’ambre (Danemark, pays baltes, nord de l’Allemagne). La culture d’Unétice qui est datée vers 2300-1600 av. n. ère (correspondant à la fin du néolithique et au début de l’âge du bronze européen), est apparue en Europe centrale, plus particulièrement en République Tchèque, Pologne et Allemagne, et est connue pour avoir fait un usage important de l’ambre.

En France, les exemples les plus anciens ont été identifiés dans le sud. Mais au cours de l’âge du bronze ancien, des attestations ont aussi été recensées en Bretagne, puis au bronze moyen dans l’est, et des découvertes du bronze récent étaient localisées dans le bassin parisien.

La fréquentation des routes de l’ambre s’est poursuivie jusqu’au Moyen-Âge, la résine baltique ayant conservé sa réputation de qualité à l’époque viking. Elle était exportée jusqu’en Chine au XIIe s. de n. ère, car elle était considérée comme étant de meilleure qualité que l’ambre chinoise.

Le commerce protohistorique et romain de l’ambre

Si des trésors monétaires romains (principalement en bronze et datant du IIe siècle de n. ère) ont été identifiés sur plusieurs sites du littoral baltique, la majorité des échanges d’ambre avaient lieu sous la forme de troc. Ainsi des exemples de verreries romaines ont été découverts au Danemark et sont aujourd’hui visibles au musée national de Copenhague, tout comme un chaudron celte en argent, qui a été identifié comme une production du sud de la Gaule.
L’ambre était importé sous la forme de fragments bruts, qui étaient ensuite taillés dans les régions destinataires, afin de satisfaire aux goûts des populations locales (étrusques, romaines, celtes, mycéniennes, grecques etc.). Le commerce de l’ambre n’a donc pas été accompagné d’influences artistiques des régions du nord, contrairement aux exemples liés à d’autres itinéraires célèbres comme la route de la soie, qui a assuré la circulation de différentes influences culturelles entre l’Orient et l’Occident.

Les Germains et les Celtes ont joué un rôle d’intermédiaire sur les routes de l’ambre, car si les marchandises traversaient tout le continent européen, les marchands, eux n’effectuaient, la plupart du temps, d’une partie de l’itinéraire. Cependant, une expédition romaine vers la Baltique est attestée sous le règne de l’empereur romain Néron. Celle-ci a ramené une grande quantité d’ambre et a permis une meilleure connaissance des régions situées entre le Danube et la Baltique, ainsi que des rivages de mer Baltique, qui fournissaient l’ambre.

De Carnuntum en Pannonie jusqu'à la côte de Germanie d'où l'on apporte le succin, il y a environ six cents milles, ce qui n'est bien connu que depuis peu ; et le chevalier romain qu'envoya pour se procurer du succin Julianus, entrepreneur des jeux de gladiateurs donnés par l'empereur Néron, est encore vivant. Ce chevalier parcourut le littoral et les marchés du pays, et rapporta une telle quantité de succin, que les filets destinés à protéger le podium contre les bêtes féroces étaient attachés avec des boutons de cette substance, et que les armes, les biens et tout l'appareil, pour un jour, était en succin. Le plus gros morceau qu'il apporta pesait treize livres. (Pline, Hist. Nat., XXXVII, 11).

L’intensification des échanges entre l’Italie romaine et la région de la Baltique est datée de la deuxième moitié du Ier s. de n. ère. Tacite se fait d’ailleurs l’écho de ces nouvelles connaissances dans son traité sur la Germanie. L’autorité romaine accordait une grande importance à ce commerce, comme en attestent la forte présence militaire sur l’itinéraire menant de l’Italie au bassin du Danube (environ une journée de voyage séparait chaque petite station militaire romaine de la suivante).

Dans nos régions, de l’ambre a été retrouvé sur plusieurs sites, mais le plus important est probablement le Tumulus de Cortil-Noirmont, dans le Brabant wallon. Outre des perles, un bas-relief figurant un capricorne ailé emportant l’urne cinéraire du défunt a été mis au jour. Ces éléments sont aujourd’hui visibles au Musée du Cinquantenaire (actuel Musée d’Art et d’Histoire).

Nos ancêtres les Gaulois ? Par Sébastien Polet

L’Histoire nationale belge, suisse ou française est souvent contaminée par des tendances à voir ces nations avant leur création. A cette fin, les Gaulois sont souvent utilisés par des historiens ou penseurs modernes. Le terme « Gaulois » est parfois synonyme de « Français ». Ils sont qualifiés d’ancêtres communs, parfois leur résistance face à Rome est mise en avant. Il est pourtant utile de rappeler qu’ils ne sont pas originaires d’Europe occidentale. Ils ont migrés vers nos régions durant le premier millénaire avant notre ère. Certains hommes politiques utilisent le terme de « Gaulois » pour mettre en lumière une spécificité française (ou francophone) d’Europe occidentale.

Les Gaulois sont-ils des Celtes. César nous livre sa définition dans le premier chapitre de La Guerre des Gaules : « L’ensemble de la Gaule1 est divisée en trois parties […] par ceux qui portent le nom de Celtes dans leur langue et, dans la nôtre, celui de Gaulois2 ». Les historiens grecs les nommaient Galates. César précise aussi qu’ils « diffèrent tous entre eux par la langue, les coutumes et les lois3 ». Nous sommes donc loin de l’unité parfois vantée aujourd’hui. En Belgique, on enseignait que César avait qualifié les Belges de « braves » (fortissimi). Le terme signifie vaillant dans un sens brutal. César justifie cela et cette analyse elle ne fit presque jamais partie de nos livres d’Histoire : « De tous, les plus vaillants sont les Belges, parce qu’ils sont les plus éloignés de la civilisation et de l’humanité de la Provence, que les marchands se rendent rarement chez eux pour y importer les denrées qui pourraient efféminés les esprits, et qu’ils sont les plus proches des Germains de l’autre rive du Rhin, contre lesquels ils sont continuellement en guerre4 ». Pour César la Gaule belgique5 s’étirait entre le Rhin et la Seine. Elle était donc bien plus vaste que l’actuelle Belgique.

Mais cette image de Gaulois occidentaux n’est pas complète. L’histoire orientale des Celtes est souvent oubliée. Pourtant de nombreux Gaulois migrèrent de nos régions vers le Sud et l’Est. Ils remontèrent le Rhin et descendirent le Danube. Certains s’installèrent dans l’actuelle Roumanie, d’autres en Bulgarie. Ils atteignirent même Delphes et Byzance.

En 279 avant notre ère, ils entrèrent, par le nord, dans le royaume hellénistique de Thrace de Ptolémée Kéraunos, éphémère successeur de Lysimaque, ancien officier d’Alexandre le Grand. Ptolémée Kéraunos fut battu et tué au combat. Son frère Méléagre, subi le même sort quelques mois plus tard. L’un des cinq royaumes qui succéda à l’empire d’Alexandre le Grand disparu suite aux invasions gauloises !

Au IIe siècle de notre ère, le géographe grec Pausanias se rappela du raid gaulois de Brennus sur Delphes : « Après leur retour, Brennus se mit à faire les plus vives instances tant aux assemblées du peuple qu'en particulier à chacun des Gaulois en charge, pour les engager à porter leurs armes dans la Grèce, en leur représentant la faiblesse actuelle des Grecs, l'opulence de leurs villes et la richesse de leurs temples, soit en offrandes de toutes les espèces, soit en or et en argent monnayé. Il parvint donc à décider les Gaulois à faire une expédition dans la Grèce ; il s'associa pour le commandement quelques-uns des principaux chefs, et entre autres Acichorius. L'armée qu'on rassembla se montait à cent cinquante-deux mille hommes d'infanterie, et à vingt mille quatre cents hommes de cavalerie ; il y avait un pareil nombre de cavaliers toujours en activité, mais ils étaient réellement soixante-un mille deux cents ; chaque cavalier avait en effet avec lui deux domestiques, bons écuyers eux-mêmes ; et qui avaient aussi des chevaux. Lorsque la cavalerie a engagé le combat, ces domestiques se tiennent derrière le corps d'armée, et voici à quoi ils servent. S'il arrive à un cavalier de perdre son cheval, son domestique lui en donne un sur-le-champ ; si le cavalier lui-même est tué, il monte sur le cheval à sa place ; si le cheval et le cavalier sont tués ensemble, il y a un autre cavalier tout prêt ; enfin, si le maître est blessé, l'un des esclaves l'emmène dans le camp, et l'autre prend sa place dans les rangs. Je pense que les Gaulois ont établi cela à l'imitation de ce corps de dix mille hommes que les Perses nommaient les Immortels, avec cette différence que les Perses ne choisissaient qu'après la bataille des remplaçants pour ceux qui avoient été tués, tandis que chez les Gaulois le remplacement se faisait pendant le combat même. Ils donnent à ce corps, dans leur langue, le nom de Trimarrisia : il faut qu'on sache que les Gaulois nomment un cheval Marra. Ce fut donc avec tout cet appareil militaire, et avec le dessein dont je viens de parler, que Brennus marcha contre la Grèce6 ».

D’autres Gaulois vinrent menacer Byzance. Pour éviter d’être pillée, la cité grecque devait payer les Gaulois. Exsangue, elle instaura la célèbre taxe sur le Bosphore afin de verser le tribut aux Celtes. L’historien grec Polybe décrivit ces événements : « Lorsqu’ils [les Byzantins] eurent en plus affaire aux Gaulois de Comontorios, ils se trouvèrent dans une situation absolument intenable. Ces Gaulois avaient quitté leur pays en même temps que ceux de Brennos […], ils avaient atteint l’Hellespont. Le pays aux alentours de Byzance leur avait plu et, au lieu de passer en Asie, ils étaient restés là. Ayant soumis les Thraces et établi leur capitale à Tylis, ils firent peser sur Byzance une terrible menace. Dans les premiers temps, lors des incursions qu’ils faisaient sous leur premier roi, Comontorios, les Byzantins leur payaient chaque fois de trois mille à cinq mille pièces d’or et une année même jusqu’à dix mille, pour que leur territoire fût épargné. Finalement, ils furent obligés de leur verser annuellement un tribut de quatre-vingt talents, cela jusqu’au règne de Cavaros, au temps duquel ce royaume gaulois fut détruit et cette peuplade elle-même vaincue à son tour et anéantie par les Thraces. Ce fut au cours de la période précédant cet effondrement que les Byzantins, écrasés sous le poids d’un tel tribut, envoyèrent leurs premières ambassades auprès des cités grecques pour solliciter un appui militaire et une assistance financière. Comme la plupart d’entre elles montraient peu d’enthousiasme, pressés par la nécessité, ils décidèrent de faire payer des droits aux navigateurs qui fréquentaient le Pont-Euxin7 ».

Les rois de Bithynie firent venir des Gaulois en Anatolie. Ils furent, dans un premier temps à leur service avant de s’émanciper et de perturber toute la région. Ils rançonnèrent des cités grecques, menaçaient la Bithynie, le royaume de Pergame, le royaume de Cappadoce ou l’empire séleucide. Pendant des années ils semèrent le chaos dans ces régions de l’ouest et du centre de l’actuelle Turquie. Ils créèrent de nouveaux royaumes. Cette région fut rebaptisée Galatie. En 273, Attale Ier de Pergame réussi à remporter une importante victoire sur une armée galate près du Caïque. Elle est brièvement évoquée par l’historien romain Tite-Live : « Telle était la terreur attachée à leur nom, surtout depuis l'immense accroissement de leur population, que sur la fin les monarques syriens8 eux-mêmes n'osèrent refuser de leur payer tribut. Le premier des princes asiatiques qui repoussa le joug fut Attale, père du roi Eumène, et son audace, contre l'attente générale, fut couronnée du succès : il combattit et eut l'avantage ; mais la victoire ne put les abattre au point de leur faire perdre l'empire de l'Asie9. Leur puissance resta intacte jusqu'à la guerre des Romains contre Antiochus10. Alors même, malgré l'expulsion d'Antiochus, ils se flattèrent que, grâce à leur éloignement des côtes, l'armée romaine ne pénétrerait pas jusque chez eux 11». Le géographe Pausanias présenta aussi la victoire d’Attale Ier : « L'expédition des Galates, leur passage d'Europe en Asie, et les ravages qu'ils y commirent, tout cela avait été prédit par Phennis une génération auparavant. Voici sa prophétie : Alors une redoutable armée de Galates, traversant le détroit de l'Hellespont12, ravagera impitoyablement l'Asie ; les dieux réservent un sort encore bien plus malheureux à ceux qui habitent les rivages de la mer ; mais pour peu de temps ; car Zeus leur suscitera bientôt pour vengeur le fils chéri du taureau divin, qui exterminera tous les Galates. Le fils du taureau est Attale, roi de Pergame, que l'oracle nomme aussi Taurocéros (aux cornes de taureau13) ». Attale Ier prit l’épithète de « Sôter » (sauveur) suite à sa victoire. Le célèbre autel de Zeus à Pergame commémore notamment sa victoire. Il fit orner la cité de statue de Galates vaincus ou mourants. Plusieurs d’entre elles furent transportées à Rome sous l’empire romain où elles furent mises au jour (conservées au musée du Capitole). A Délos, des représentations de Galates vaincus furent aussi dressées (statues conservées au musée national d’Athènes ou au Louvre).

En 189 avant notre ère, le consul Manlius Vulso fut le premier romain à mener campagne contre eux avec les armées des frères Scipion. Il fit un important butin en Galatie. Vulso était accompagné par deux des frères d’Eumène II de Pergame. A son retour à Ephèse, il fut considéré comme un héros par de nombreux Grecs. A Rome, on lui reprocha d’être entré en Galatie sans l’aval du Sénat. Cette campagne fut évoquée par Tite-Live : « Les Gaulois, poursuivis par l'image des Tolostoboges égorgés, le corps criblé de traits plantés dans les chairs, n'en pouvant plus de fatigues et de coups, ne tinrent même pas contre le premier choc, les premières clameurs des Romains. Ils s'enfuirent vers leur camp ; mais un petit nombre seulement se réfugia derrière les retranchements ; la plupart, emportés à droite et à gauche, se jetèrent à corps perdu devant eux. Les vainqueurs poussèrent l'ennemi jusqu'au camp, l'épée dans les reins ; mais l'avidité les retint dans le camp et la poursuite fut complètement abandonnée. Sur les ailes, les Gaulois tinrent plus longtemps, parce qu'on les avait joints plus tard ; mais ils n'attendirent même pas la première décharge de traits. Le consul, ne pouvant arracher au pillage ceux qui étaient entrés dans le camp, mit aussitôt les ailes à la poursuite des ennemis. La chasse dura quelque temps, mais il n'y eut guère plus de huit mille hommes de tués dans la poursuite, je ne dis pas combat, il n'y en eut point. Le reste passa l'Halys14. Les Romains, en grande partie, passèrent la nuit dans le camp ennemi ; les autres revinrent avec le consul dans leur camp. Le lendemain on fit l'inventaire des prisonniers et du butin : le butin était immense ; c'était tout ce qu'une nation avide, longtemps maîtresse par la conquête de toute la contrée en deçà du mont Taurus, avait pu amasser. Les Gaulois, dispersés, se rassemblèrent sur un même point, blessés pour la plupart, sans armes, sans aucune ressource. Ils envoyèrent demander la paix au consul. Manlius leur donna rendez-vous à Éphèse, et, comme l'on était déjà au milieu de l'automne, ayant hâte d'abandonner un pays glacé par le voisinage du mont Taurus, il ramena son armée victorieuse sur les côtes, pour y prendre ses quartiers d'hiver ».

Plusieurs missions archéologiques trouvèrent des traces des populations gauloises en Anatolie, notamment à Gordion ou dans le tumulus de Bolu. La plupart des objets sont exposés soit au musée archéologique d’Istanbul, soit au musée des civilisations anatoliennes d’Ankara.

Les derniers royaumes gaulois d’Anatolie perdirent leur indépendance sous le règne de Vespasien (69-79). Ces entités politiques eurent donc une existence longue et relativement stable, comme dans nos régions. Ainsi, les Turcs d’Aujourd’hui peuvent aussi revendiquer un héritage gaulois.

Des Gaulois allèrent même plus loin vers l’Est ou le Sud. Des guerriers devinrent mercenaires pour les rois Séleucides, pour Hérode le Grand ou même pour Ptolémée III Evergète Ier, Ptolémée IV Philopatoe, Ptolémée V Epiphane, Ptolémée IX Sôter II, Ptolémée XII Néos Dionysos Aulète ou Cléopâtre VII en Egypte. Un graffito gaulois15 est même présent dans une chapelle du temple de Séthy Ier à Abydos, en Egypte !

1 Gaule non occupée par Rome. Le Sud de la Gaule (Provence) est déjà une province depuis des décennies : Gaule narbonnaise.
2 CESAR, La guerre des Gaules, I, 1.
3 CESAR, La guerre des Gaules, I, 2.
4 CESAR, La guerre des Gaules, I, 3.
5 Adjectif.
6 PAUSANIAS, Description de la Grèce, X, 19.
7 Mer Noire.
8 Rois séleucides.
9 Sud-Ouest de l’Anatolie.
10 Antiochos III le Grand, roi Séleucide.
11 TITE LIVE, Histoire romaine, XXXVIIII, 16, 13-15.
12 Dardanelles.
13 PAUSANIAS, Description de la Grèce, X, 15.
14 Fleuve d’Anatolie centrale
15 Rédigés en grec.

Evoquer les Gaulois aujourd’hui devrait être fait pour mettre en lumière des cultures riches au travers de l’Europe, de l’Ibérie à l’Ecosse, de l’Irlande à la Bulgarie. A cela il faut même ajouter la Turquie. Mais en général, ils sont souvent employés pour évoquer un repli sur soi dans les pays francophones d’Europe occidentale. Vouloir protéger notre patrimoine commence par en prendre connaissance…

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