André Flahaut, né le 18 août 1955 à Walhain (Belgique), est un homme politique socialiste belge francophone.
Ministre du gouvernement fédéral, puis Président de la Chambre des représentants du 20 juillet 2010 au 30 juin 2014, durant la 53e législature. Il devient, le 20 juillet 2014, Ministre francophone du Budget, à la Fonction publique et à la Simplification administrative au sein du Gouvernement Demotte III. Il fut nommé ministre d'État le 7 décembre 2009.
Bonjour à toutes et à tous.
Tout d’abord, permettez-moi de constater que je suis le 9e intervenant et que cela fait depuis 9h00 du matin que vous êtes ici, ce qui représente quand même une masse d’informations à assimiler.
J’avais préparé un texte, mais je ne vais pas le suivre, mais je vais vous livrer quelques réflexions.
Je suis ici en tant que responsable du budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et à ce titre, j’ai l’habitude de dire que je m’occupe de ce que je paie.
Il est connu que les cercles d’histoire locale ont des difficultés de budget. C’est hélas, le lot de beaucoup d’associations de tous genres. Il est toujours possible d’introduire auprès des institutions concernées des dossiers de financement de projets divers, et d’en attendre une réponse… Ce que je puis utilement vous conseiller est de profiter des prochaines échéances électorales pour sensibiliser les autorités locales en leur présentant vos projets avec une pression appropriée. Cela pourra sûrement vous aider à trouver les moyens de concrétiser vos objectifs.
En ayant conversé avec certains d’entre vous et à l’écoute de ce qui s’est dit précédemment, on peut affirmer clairement que notre mémoire historique est fondamentale et tout doit être tenté afin de la préserver. Depuis 1997, je me suis impliqué de manière sensible dans le travail de mémoire des victimes de guerre. J’ai donc pu apprécier ce qui se fait en ce sens, mais force est de constater que nous avons à rester vigilants pour que les dérives du déni ou du détournement des buts premiers de notre action mémorielle n’en prennent le dessus. Par exemple, on peut être inquiets lorsqu’on considère ce qui se passe avec le Musée de l’Armée, actuellement, malgré la présence de quelques personnes qui tentent de préserver cet outil par une vigilance démocratique accrue.
Le travail réalisé par les cercles locaux d’histoire est fondamental dans un monde de plus en plus globalisé dans lequel on accède de plus en plus à une surconsommation immédiate. Il est grand temps d’aller à contre-courant de ce mouvement, afin de retrouver la proximité et le dialogue en direct, de personne à personne, dans une disponibilité citoyenne.
Les cercles d’histoire locale s’inscrivent très bien dans cette démarche, et particulièrement dans notre province, où le maillage des populations s’est développé de manière accrue ces dernières décennies. La présence des associations traitant de l’histoire locale est primordiale dans le cadre du « mieux vivre ensemble » : grâce à elles, le partage des connaissances historique d’un lieu, le partage de son histoire est le meilleur moyen pour que les personnes non natives du lieu puissent y assurer un ancrage socio-culturel bénéfique au développement sociétal.
Un autre aspect de l’utilité des sociétés d’histoire locale réside dans la transmission du savoir historique au sein des écoles. A une époque où on est en guerre tout autour de nous, en Syrie, en Irak, en Afrique, où des événements tragiques émaillent l’actualité tous les jours, les gens ont tendance à banaliser ces drames et les enfants en sont les victimes directes. En m’impliquant dans le projet appelé « Trop jeune – Te jong », j’ai pu voir l’importance du travail accompli par Joël Ferry, au sein des écoles de la région : chaque élève d’une classe « adopte » une tombe, une stèle. En s’appropriant cette partie de patrimoine mémoriel, il en devient le gardien ; il voudra approfondir sa connaissance au sujet du décédé, apprendre son
histoire, le lieu où il a vécu, à quelle époque, dans quelles circonstances il est décédé, etc. Tout en acquérant une connaissance historique, le jeune prendra conscience de l’impact des événements sur la vie sociétale.
Ce travail remarquable prépare les jeunes à faire preuve de discernement et d’intelligence dans une société où la peur, l’égoïsme et le repli sur soi deviennent la loi.
Les institutions d’histoire locale sont essentielles pour qu’à partir de choses concrètes, telles que l’histoire locale, le patrimoine, se renforce la vie sociale de proximité dans laquelle le dialogue direct devienne naturel.
C’est dans cet esprit que se révèle l’importance primordiale des cercles d’histoire locale.
Je vous remercie de votre attention.
Prise de notes: W. Burie
Voici le texte initialement prévu
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie de m’avoir proposé d’intervenir dans votre réflexion relative aux cercles d’histoire locale.
Je veux aussi féliciter toutes celles et ceux qui, passionnés par l’histoire de nos régions, ont à cœur de rassembler des documents et des objets y afférant, de las répertorier, de les sauvegarder, perpétuant ainsi la mémoire des habitants et mettant en valeur, par diverses initiatives pédagogiques ou conviviales, le patrimoine local.
Il y a la grande Histoire, celle qui s’écrit avec un grand H, celle des conquêtes et des bâtisseurs, celle des révolutions et des religions, l’Histoire des civilisations et des hommes qui les ont définies. De la Guerre des Gaules à Hiroshima, de Confucius à Gandhi, d’Alexandre le Grand à Hitler, de Platon à Descartes, de Babylone à Austerlitz, des bûchers aux fatwas, l’Histoire est telle une infinité de couches géologiques qui a modelé notre paysage quotidien. Elle nous raconte l’obstination des hommes à se trouver des raisons d’exister en s’inventant une ambition, un schéma philosophique, un destin.
La connaître peut-il servir à nous préserver des erreurs passées? Est-ce faire preuve de trop d’optimisme? Faut-il adhérer au parti de Pascal (si vous gagnez, vous gagnez tout, si vous perdez, vous ne perdez rien) et croire que l’histoire peut servir? Ou faut-il se satisfaire de l’irréversibilité du temps et des choses qui amoindrit les chances d’un présent, voire d’un futur pacifié?
« Un héritage n’est pas nécessairement précédé d’un testament - disait René Char -. Le passé n’est pas obligatoirement assigné à l’avenir, mais ce dernier peut se nourrir de quelques enseignements du premier ».
Je ne crois pas aux recettes miracles et n’ai de l’Homme aucune vision rousseauiste, mais il faut bien trouver ici et là, quelques outils qui, puisque la raison fait si souvent défaut, pourront servir à le prémunir de ses funestes desseins.
L’Histoire est un de ces outils, chaque fois que nous décidons qu’elle peut être exemplative.
L’Histoire locale peut se révéler un meilleur outils, dès lors qu’elle s’inscrit dans la proximité géographique et quasi temporelle de chacun.
Certes on peut se croiser les bras, choisir la fatalité en s’accordant avec l’auteur britannique Aldous Huxley qui affirmait que « la plus grande leçon de l’Histoire est que les humains ne tirent pas de leçons de l’Histoire ». On peut partager sa conclusion, mais elle ne nous laisse aucun espoir, ne nous apporte aucune solution, dénie toute perspective favorable.
Je ne suis pas historien, je ne suis que spectateur de la façon don évolue - me semble-t-il -notre approche de l’Histoire.
Il n’y a pas si longtemps, l’Histoire glorifiait les meneurs, les généraux, les rois, les empereurs, les bâtisseurs de civilisation. C’était César, ou Alexandre, ou Bonaparte. Aujourd’hui, on se souvient des sans grade, des anonymes, des tranchées et du soldat Ryan qu’il faut sauver.
Les guerres n’ont pas cessé, mais une réflexion commence.
Je veux la voir tel un progrès.
C’est un peu comme si le chaos, d’avoir été si extrême à Verdun par le nombre, à Hiroshima, par la technologie ou à Kigali par de simples machettes, capitulait enfin devant l’humain, non dans ce qu’il a de pire, mais devant ce qu’il y a d’humanité. On a commencé à reconnaître qu’il n’y avait pas que des légions, des régiments ou des tanks, il y avait des individus.
Ces individus avaient un nom, un passé, une famille, une terre.
Un jour, leur nom a été repris sur une stèle, dans leur village. Ils ont cessé d’être un matricule. Nous leur avons rendu leur identité.
Il m’apparaît que c’est à ce niveau, notamment, que l’on peut considérer que les cercles d’histoire locale sont susceptibles de faire œuvre d’utilité publique
Sans attendre la finalisation d’interminables procédures, les cercles peuvent retisser les liens entre le passé et le présent. Entre l’abstraction du souvenir et l’intérêt de quelques spécialistes ou amateurs d’Histoire, ils peuvent être les passeurs.
Je prendrai en exemple le projet « Te jong, trop jeune » que j’ai initié lorsque la gestion des cimetières militaires a été transférée du ministère de l’Intérieur à celui de la Défense, dont j’étais en charge. Dans chaque cimetière, il y a des tombes d’Anciens Combattants qui ne sont plus entretenues.
En collaboration avec l’Institut des Vétérans, il a été proposé aux écoles « d’adopter » une ou plusieurs sépultures abandonnées et de développer un projet pédagogique original à partir du souvenir du défunt.
Une rapide soustraction des dates gravées dans la pierre indique la jeunesse du disparu et c’est un premier élément de proximité avec les élèves.
Non, les Anciens Combattants n’ont pas tous des cheveux blancs!
Ceux-là ont eu 18 ans, 20 ans, 22 ans, et tout s’est arrêté. Ils étaient étudiants, apprentis, avaient une copine,.. L’enquête peut commencer sur le passé, la courte vie de ces jeunes qui n’ont pas connu le smartphone, mais sont morts pour la liberté.
Ici, on fera le lien avec une rue qui porte le même nom, là on constatera une similitude avec le nom de la boulangerie du coin. Reste-il dans le village de lointains cousins?
Que l’on propose aux petits de décrire leur émotion par un dessin, que l’on propose aux plus grands de s’essayer à la généalogie, de reconstituer une biographie, que l’on évoque la situation de l’ouvrier ou de l’économie ou de la science à cette époque, le but sera atteint: l’histoire d’un homme aura cessé d’être abstraite, son souvenir restera désormais dans les mémoires tout autant que les réflexions qu’engendre un tel destin.
Je crois que c’est aussi ainsi que l’histoire peut être utile.
Je crois que c’est avec des projets concrets, ouverts au grand public, alliant découverte, participation, mise en situation, que les cercles d’histoire locale acquerront une valeur ajoutée tout autant originale qu’essentielle à une dimension citoyenne élargie.
Retrouver la source, reconstituer une histoire personnelle, retrouver une trace, jeter un pont au travers du temps, faire en sorte que chacun y retrouve une part de son chemin, voilà une piste peu commune de « refaire » l’histoire et d’en tirer les leçons pour notre présent.
Mesdames, Messieurs, je sais la qualité du travail déjà accompli, je sais la passion qui vous anime, je connais l’obstination des historiens… et la rare capacité des hommes à anticiper. On connaît les histoires que se sont racontées les hommes entre eux,celles qui ont fait naître les religions, les nations, les lois, les valeurs, qui, aujourd’hui, régissent nos sociétés. On sait qu’ici et là, un dieu, un principe, une ambition, un délire ont un jour fait sens et ont parfois bâti une civilisation et que les historiens en sont, sinon les traducteurs, à tout le moins, les gardiens du temple.
Je terminerai en paraphrasant cette célèbre formule de Paul Valery: « Nous autres civilisations, nous savons aujourd’hui que nous sommes mortelles ».
Mais il ajoutait: « Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie ».
A l’aune de ses fracas, de ses fulgurances, de ses léthargies ou de ses emportements, l’Histoire, c’est l’addition de nos histoires, de nos vies, si fragiles, si précieuses, tellement uniques…
… Personnifiées par les cercles, elle me semble dès lors, d’une évidente utilité publique!
André Flahaut,
Ministre d’Etat
Né en 1964 à Uccle et licencié en criminologie, Gilles Mahieu occupe la fonction de secrétaire général du PS depuis 2008. Il arrive à Mons en 1993 pour travailler aux côtés du bourgmestre Maurice Lafosse sur le contrat de sécurité. Deux ans plus tard, il sera chef de cabinet du maïeur jusqu’en 1999, au moment où il est appelé à prendre de nouvelles fonctions auprès du ministre Charles Picqué.
Puis en janvier 2001, le Bruxellois est de retour dans la cité du Doudou pour devenir le chef de cabinet du bourgmestre Elio Di Rupo, poste qu’il occupera jusqu’en 2004 avant de quitter, définitivement cette fois, le chef-lieu du Hainaut. Il est nommé Gouverneur de la Province du Brabant Wallon et succède à Marie-José Laloy, partie à la retraite, et à Christophe Baes, qui assurait l’intérim.
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs en vos titres et qualités,
Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier pour cette invitation à échanger avec vous. Je vais tenter d’être bref, pour laisser toute sa place au débat et aux questions.
Au départ, la réponse à la question que vous posez - « Les cercles d’histoire locale sont-ils des institutions d’utilité publique ? » - me semblait évidente et imposait une réponse positive que j’aurais illustrée de l’un ou l’autre exemple.
A la réflexion, et en appliquant un minimum de sens critique, car je n’ai pas les compétences suffisantes pour prétendre manier la critique ou la méthode historique, ma réponse sera plus nuancée que ce que le bon sens semble indiquer.
La question de l’utilité publique de vos travaux soulève en effet celle de la notion d’utilité publique elle-même.
En droit, on considère que l’utilité publique est la marque des missions de service public, ce qui en fait quasiment un monopole de l’État au sens large. C’est le sens de l’inscription obligatoire des cours d’histoire dans les programmes scolaires.
On admet aussi que des associations privées peuvent prétendre à une utilité publique et donc à une reconnaissance officielle par l’État de leur action.
Dans ce cas, en simplifiant un peu, il s’agit de respecter au moins quatre critères :
- un but d’intérêt général,
- une influence suffisante dépassant, en tout état de cause, un cadre local,
- une légitimité particulière dans son domaine d’action et,
- une absence de but lucratif.
Ce sont ces critères qui vont me guider pour m’aider à répondre.
Examinons d’abord la question de l’intérêt général. Cette notion évolue entre deux conceptions. Celle, plus utilitariste et réductrice, qui assimile l’intérêt général au bien commun anglo-saxon.
Celle des Lumières qui vise l’intérêt de tous et qui transcende les intérêts particuliers, où l’intérêt général, dépassant chaque individu, devient l’émanation de la volonté de la collectivité des citoyens en tant que telle.
Notons que les deux conceptions considèrent l’intérêt, qu’il soit particulier ou général, comme un principe d’intelligibilité des conduites humaines. En clair, l’intérêt général est ce qui permet à l’humanité de s’émanciper de sa condition initiale.
Dans les deux cas le travail historique apparait comme satisfaisant l’intérêt général.
Pour la première hypothèse, en ce qu’il est un bien commun donné. Pour la seconde hypothèse, en ce que le travail historique, l’étude et l'écriture des faits et des événements passés, cherchent à comprendre et à expliquer les faits, c’est-à-dire à dépasser une approche individuelle ou particulière pour répondre à un besoin collectif.
Dès lors que les travaux des cercles historiques locaux respectent la méthode historique, et qu’ils ne poursuivent pas une fin servant un intérêt particulier, nous pourrions déjà nous satisfaire d’une conclusion favorable quant à l’intérêt général.
Cela dit, je fonde mon raisonnement sur deux présupposés :
Primo, il y a un besoin collectif d’Histoire. L’homme a besoin de connaître son passé pour s’émanciper y compris s’en émanciper.
Secundo, les travaux des cercles (historiques) servent l’Histoire avec un grand « H ».
Cette première question de l’intérêt général nécessiterait donc au minimum une première thèse de doctorat.
Quant au critère de l’influence suffisante, il impose que le travail dépasse l’échelon local et le niveau particulier. Il convient dès lors de s’interroger sur le caractère suffisant de l’association des démarches locales, de l’accessibilité des travaux pour le public, du lien entre les travaux historiques locaux et ceux qui portent sur des territoires plus vastes. En gros, les cercles locaux d’histoire satisfont à ce critère s’ils servent d’autres travaux historiques plus généraux ou s’ils s’assurent une diffusion au-delà du territoire objet de l’étude.
Enfin, la légitimité découle ici des compétences particulières liées aux qualités des personnes qui œuvrent au sein des cercles d’histoires locaux et à la reconnaissance de leurs travaux. En bref, il s’agit de reconnaître que la qualité des travaux historiques s’acquiert tant par une compétence présupposée de l’auteur liée à l’expérience, ou à un diplôme, ou à des titres et mérites, que par la reconnaissance par les pairs d’un travail historique de qualité.
Pour ce critère de la légitimité aussi, une thèse de doctorat ne suffira pas à baliser le champ du débat.
Le quatrième critère, l’absence de but lucratif ne fait aucun doute en ce qui vous concerne au vu de l’ampleur de l’engagement bénévole qui vous caractérise.
Cela étant, l’utilité publique de vos travaux n’échappera à personne dès lors qu’il s’agit aussi de défendre l’accès à l’Histoire, comme élément-clé de la compréhension du monde. Et là, la facilité serait de ne voir qu’un aspect limité de vos travaux ayant pour finalité de faciliter le devoir de mémoire.
En tant que gouverneur, j’avais annoncé lors de ma mercuriale de janvier 2016 faire de la défense du devoir de mémoire l’un de mes objectifs premiers. Pour rappel, officiellement le Gouverneur, comme le Commandant militaire de Province, avons dans nos missions la promotion du devoir de mémoire.
Pour autre rappel, le Devoir de mémoire c’est l’obligation morale de se souvenir d'un événement historique malheureux et de ses victimes afin de faire en sorte qu'un événement de ce type ne se reproduise plus.
outefois, je n’ignore pas la différence entre le travail de l’historien et la préoccupation politique (au sens noble du terme) qui vise à conscientiser la population sur les errements du passé pour éviter la reproduction de ceux-ci.
Le devoir collectif et officiel de mémoire ne doit pas, selon de nombreux historiens, devenir un « raccourci moralisant » qui éluderait « l'extrême complexité des questions » et ils préfèrent les concepts de « devoir de connaissance » ou de « devoir d’histoire ».
Je cite à ce sujet l’historien François COCHET. Pour lui, la différence essentielle entre l'histoire et la mémoire, c'est que « l'histoire cherche à comprendre ce qui a fait agir une communauté nationale à un moment donné, en fonction des représentations de soi et des autres que cette communauté vit à cet instant », tandis que « la mémoire est forcément contemporaine du moment où l'on parle ». Il admet que « le témoin est l'allié objectif de l'historien » et qu’« ils font bon ménage tous les deux », mais « à la condition expresse d'avoir précisé leurs rôles respectifs : le témoin éclaire une période, l'historien l'explique ».
Certains parlent même de « devoir de vérité » : Henry ROUSSO, historien de la Seconde Guerre mondiale, considère que « la mémoire relève d'une approche sensible, individuelle, presque sentimentale du passé, qui abolit la caractéristique première de l'histoire historienne, à savoir la mise à distance », et que le « devoir de mémoire » est aussi un « devoir de vérité » qui s'impose à tous les historiens.
Je ne veux donc pas réduire l’utilité publique des travaux historiques au devoir de mémoire et considère que le travail de l’historien, vos travaux en l’occurrence, dès lors qu’ils contribuent à cette recherche de la vérité historique apparaissent bien comme répondant à un devoir d’ordre public.
Si des travaux ne servent pas le devoir de mémoire, les dimensions compréhension et explication (pédagogie) me semblent indispensables à la reconnaissance du caractère d’utilité publique. Relater avec précision une bataille n’a d’utilité publique que si l’on s’en sert comme point d’appui pour expliquer le sens du monde d’alors et, le cas échéant, celui d’aujourd’hui.
En ce sens, un travail pointilleux sur des événements à portée locale permet aussi de conserver les détails, les traces qui permettront à d’autres historiens et pédagogues de faire le travail de mise en contexte et d’explication autour des faits eux-mêmes.
Je vais illustrer mon propos par une relation que je connais mieux (je suis criminologue), celle entre le criminaliste (l’analyste criminel) et le criminologue.
Le criminaliste se penche sur les faits, les traces, les preuves. Au criminologue d’expliquer le modus operandi et les enchainements de circonstances qui ont conduit le criminel à passer à l’acte sur base des éléments recueillis par l’analyste.
De la même manière, un travail rigoureux sur les faits, ou des recherches archéologiques sur les traces, permettent à l’historien de construire le récit autour de ceux-ci.
En conclusion, au regard de ce qui précède, et pour répondre à la question, les cercles d’histoire locale sont d’utilité publique, car Histoire et mémoire sont tous deux indispensables à la compréhension du monde et à la construction de l’avenir. Les cercles contribuent clairement à cette œuvre.
Mais attention, nous avons vu que si les travaux des cercles ne s’adressent qu’à des initiés ou ne participent en rien à la constitution d’un corpus historique, ils manqueront à cette fin d’utilité publique.
En revanche, en termes de communication, il est connu que les documents qui concernent des lieux géographiquement proches des citoyens les intéressent spontanément plus que ceux qui sont éloignés.
Dès lors, je vois aussi dans la démarche des cercles locaux une porte d’entrée de proximité pour intéresser la population locale à l’Histoire en général, au-delà de l’histoire locale en particulier. Sans compter le renforcement de l’identité locale via la proximité de la démarche des cercles locaux.
Il faut alors veiller à transcender la dimension locale pour l’intégrer dans un contexte plus général et permettre soit le travail de mémoire, soit le travail historique de compréhension du monde.
Dans le contexte que nous connaissons où l’Histoire est négligée au profit de l’observation instantanée, dans un contexte où l’immédiat médiatique semble primer sur l’analyse, j’ai tendance à croire que plus que jamais, votre mission est essentielle.
Et c’est là où une association telle que la vôtre répond à l’attente publique. En fédérant les Cercles, en favorisant l’émulation, les échanges réciproques sur vos activités, publications et projets dans le but d'un enrichissement mutuel, en facilitant une meilleure diffusion dans le grand public et en appuyant les démarches des cercles pour obtenir des aides, vous permettez cette utilité publique. C’est, à mes yeux, essentiel.
Primo Levi disait : « Je pense que l’essentiel c’est de comprendre et de faire comprendre ».
C’est pourquoi, dans les limites de mes compétences et avec toute l’humilité qui s’impose, vous pouvez compter sur tout mon appui pour défendre vos travaux et votre démarche.
Je vous remercie
Gilles Mahieu
Gouverneur du Brabant wallon
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